UILV - (OACAS)

Union Interrégionale des Lieux à Vivre

Les Lieux à Vivre, comment les décrire ?

Quelle est leur spécificité, leur intention ?

Egrégore des Lieux à Vivre

La pratique d’accueil des « Lieux à Vivre » veut être une réponse alternative entre le tout de la mise à l’emploi et le rien de l’errance et de la reconduction de situations abandonniques.
 
Hébergement dans la durée (comme préalable à toute démarche), vie commune (comme lieu d’une première insertion), activités (pour retrouver rythme de vie et utilité sociale), accès à la citoyenneté (pour développer estime de soi et sens de l’environnement culturel, social, etc.) :

Ces piliers de nos actions, liés et indépendants les uns des autres, veulent proposer aux personnes et aux politiques sociales un mode d’accueil qui privilégie clairement le collectif et les activités solidaires comme mode d’insertion sociale. C’est le collectif qui accueille et propose l’intégration en son sein des personnes et des familles. 
 
Cependant des limites existent pour ce mode d’accueil :
 
      • ♦ Parce qu’on ne peut pas accueillir tout le monde : respect d’un équilibre dans la diversité des typologies des personnes accueillies dans le lieu, et en harmonie avec le groupe qui accueille (d’où l’exigence de mixer les « publics » pour éviter de créer des ghettos à l’intérieur du collectif).
      • Une limite est imposée par le nombre de places.
      • L’adhésion des personnes au projet devient nécessaire à terme. 
 
Entre ces deux pôles, la rue ou l’insertion, doivent pouvoir exister un temps et un espace reconnus pour permettre aux femmes, aux hommes et aux familles en grande difficulté d’entrer dans la dynamique d’une reconstruction, de prendre le temps nécessaire pour entrer dans un mouvement de réappropriation de soi et de son environnement, en complément des parcours d’insertion habituellement proposés. 

A travers cette proposition, nous promouvons le contrat qui lie l’État/les institutions et les Lieux à Vivre pour la reconnaissance d’initiatives de terrain permettant à des gens de vivre ensemble dans une dimension active de vie communautaire, reconnaissance d’expérience où l’État et les collectivités ne sont ni initiateurs, ni promoteurs.
 
Au point de départ, il y a des hommes, des femmes et des familles dont l’urgence est de vivre. Vivre par-delà les très sérieuses difficultés que rencontrent ces personnes.
  
Elles désignent également les priorités à mettre en œuvre :  

      • Priorité à être là plutôt qu’à la rue : pouvoir poser sa valise ;  
      • Priorité médicale ;
      • priorité administrative : être (r)établi dans ses droits ;  
      • Priorité thérapeutique ;  
      • Priorité de restaurer une relation de confiance avec soi-même (estime de soi) et au sein d’un groupe (compagnonnage).
         
L’insertion sociale se caractérise, pour nous, par une mise en mouvement : 

 

      • Sur le lieu de l’accueil par la participation aux activités et au déploiement de la dynamique des « Lieux à Vivre » ; 
      • Tournée vers et à l’extérieur, pour tenter de mener à bien son projet de vie. 

Les moyens mis en œuvre pour finaliser cette forme d’accueil « Lieux à Vivre » sont de plusieurs ordres :
 
  • ◊ Une dynamique offerte aux personnes :
      • Pour donner un temps certain aux personnes accueillies et être capable (structurellement) de prendre le temps d’un compagnonnage vrai ; 
      • Pour lier hébergement, vie commune, activités et promotion de la vie citoyenne qui sont les piliers de notre action avec les personnes ;
      • Pour vivre dans un type adapté à la situation et au choix de la personne.

  • ◊ Un accompagnement dans la durée :
le premier accueil partagé permet à la personne d’accéder à la vie commune. Au terme d’un temps plus ou moins long, chaque personne se donne les moyens de choisir son avenir, de faire le choix de sa vie : insertion dans une vie professionnelle choisie à l’extérieur du lieu ; ou décision de « vivre là » comme à la maison, dans d’une vie régie par un cadre clair (participation à l’activité, respect du règlement intérieur, compagnonnage actif).

  • ◊ La participation aux activités solidaires propre à nos lieux dont bénéficient à la fois les structures et les habitants. Ces activités solidaires regroupent quatre réalités : 
      • Activités ménagères, création et aménagement des locaux,
      • ♦ Activité participative de solidarité locale (SAMU social, maraude, téléthon, distribution alimentaire) ;
      • Activité vivrière ;
      • Activité productive et économique ;
      • Toute activité artisanale et d’expression (atelier d’écriture, de peinture, etc.).

Toutes ces activités sont sources de formations diverses et particulièrement la validation des acquis de l’expérience (VAE), de rencontres avec les acteurs économiques locaux et de ressources économiques pour les communautés. 

La formalisation de ces initiatives de solidarité s’établit sur :
 
  • ◊ Le respect du pacte républicain : 
      • Formalisation administrative le plus souvent sous forme associative ; 
      • Refus des logiques d’enfermement et autres dérives sectaires ; 

  • ◊ La volonté de développer le bien-être des personnes, au sens de l’Organisation Mondiale de la Santé et en référence à une vie sobre, refus la surconsommation de biens et de services dans une perspective d’économie circulaire et locale. 

  • ◊ La promotion d’un contrat de compagnonnage entre les personnes participant à l’animation du lieu : résidents, bénévoles, salariés ; Point 4 de la Charte) 
      • La garantie de la dimension collective de la propriété et du projet : 
      • Contribuer à la création d’un capital commun : il s’agit de faire fructifier un bien reçu en héritage dans la perspective de le transmettre à d’autres en améliorant ses composantes dans la recherche du mieux et du beau ; 
      • Mobiliser et générer du capital social, des formes de confiance mutuelle et d’engagement civique, qui entretiennent le souci des biens communs ; augmenter le capital social de la personne par l’appartenance à un groupe, qui génère des liaisons permanentes et utiles pour maîtriser l’environnement social ; 
      • Produire des règles pour assurer une saine gestion de la vie des communautés et de ses habitants ; 
      • Offrir l’adresse du lieu à vivre comme boite à lettres pour tous et la possibilité d’une domiciliation si possible. 

  • ◊ Un modèle économique basé sur l’hybridation des ressources : participation des résidents et des bénévoles, ressources économiques des activités communautaires, aides publiques et soutiens privés.

Un engagement réciproque avec l’État 

 
En 2017/2018 un agrément national d’organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (OACAS) a été accordé par l’État à neuf associations de l’Union Inter-Régionale des Lieux à Vivre (UILV).
  
Cette démarche portée par l’Union a fait l’objet d’une convention entre l’État et l’Union Inter-Régionale des Lieux à Vivre. L’UILV est agréée en tant qu’organisme national OACAS, agrément qui vaut pour les Lieux à Vivre qui lui sont affiliés, s’ils en font la demande (arrêté du 23/07/2017). 
 

L’activité des lieux à vivre en chiffres

    • → 682 personnes accueillies annuellement par les communautés affiliées ;
    • → 335 personnes en moyenne résidentes dans les communautés, 242 nouvelles entrées par an ;
    • → 720 bénévoles adhérents et 860 000 € de recettes annuelles générées par les activités et les services solidaires.
       

Vers une reconnaissance des “Lieux à Vivre”

ou

La longue marche des “Lieux à Vivre”

1 –Vers la fin du XXème siècle ou au début des années 2000, face à la montée de la précarité, à la multiplication des situations sociales apparemment sans solution « classique », face au développement du nombre des personnes à la rue (SDF ou sans-abri), des constations d’évidences ont progressivement émergé, notamment dans plusieurs régions du Sud de la France (PACA, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées) à travers les échanges et les réflexions menées par l’association « Voisins et Citoyens en Méditerranée » (VCM) :

      • –  constat de l’insuffisance, en volume, de l’offre d’hébergement existante, en dépit de la progression du nombre de places en CHRS et/ou maisons-relais ;

      • – constat aussi de l’inadaptation de cette offre à la situation de certains publics : conditionnalité de l’accueil, limitation de l’hébergement en durée, imposition de certains horaires ou de certaines obligations (règlements intérieurs) auxquelles ces personnes ne pouvaient ou ne voulaient pas se soumettre ;

      • – constat de l’évolution de la demande sociale : évolution des publics, rajeunissement et, en même temps, vieillissement de certains publics, féminisation des personnes à la rue, afflux de personnes d’origine étrangère, problématiques liées aux personnes sortant de services psychiatriques, sortants de prison… Evolution aussi des demandes ou des attentes : coexistence de clochards, de routards, de sans-abri, de personnes expulsées… ;

      • – constat que le « temps » des structures et des institutions n’est pas le « temps » des personnes en errance sociale : l’insertion (si tel est le but de l’action sociale) demande du temps dans la durée et parfois un temps très long, ce qui n’est pas forcément en adéquation avec la poursuite d’objectifs voulus par les pouvoirs publics (et les échéances électorales) comme par les institutions qu’ils financent, pour lesquels l’insertion se limite trop souvent à la seule insertion professionnelle (remise sur le marché du travail) fut-elle partielle, temporaire et insatisfaisante : l’objectif poursuivi par les « lieux à vivre » est bien la promotion des personnes dans le respect de leur identité, de leur choix, de leur dignité, de leurs difficultés et de leurs potentiels en tant que personnes humaines ;

      • -constat d’un « fossé culturel »entre les personnes concernées (celles en errance sociale) et les services officiels qui, de façon consciente ou non, tendent (notamment à travers l’insertion limitée à la sphère travail) à imposer des normes sociales que les personnes en errance, consciemment ou non, refusent de se voir prescrire ; de là, une inappétence, voire un rejet de tout ce qui s’apparente à des obligations « normalisatrices » ou à une forme de contrôle social : documents à fournir, dossiers à remplir, justificatifs de toutes sortes, statistiques, paperasserie, difficulté de dialoguer et, finalement, incompréhensions réciproques…

2 – Dès lors, face à ces constats, les personnes directement concernées comme les associations de terrain ancrées dans une réalité complexe et bien concrète, ont recherché des réponses alternatives entre le tout CHRS et le rien de la rue ; entre le tout de la mise rapide à l’emploi et le rien de l’errance ; entre le tout de l’insertion forcée, réglementée, normée, conforme, institutionnelle et le rien de l’exclusion/abandon.

C’est ainsi qu’une solution, parmi d’autres, s’est progressivement fait jour, de façon parfaitement pragmatique, conditionnée (ou imposée) par la nécessité : les personnes en difficulté, parfois aidées par telle ou telle association préexistante, se sont, souvent de façon spontanée ou « naturelle », regroupées pour investir des lieux d’hébergement, y pratiquer une « solidarité du quotidien »dans des structures originales, construites à partir du vécu des personnes et non à partir des réglementations ou normes existantes.
C’est ce qui, à travers « Voisins et Citoyens en Méditerranée » (VCM [1]) a été qualifié de « lieux à vivre ». On pourrait dire que, quelles que soient les spécificités ou originalités de chaque « lieu à vivre », ces structures se sont construites autour de quatre « piliers », quatre constantes : l’hébergement des personnes, la vie en commun, l’activité, la citoyenneté. Avec un « ciment »commun : le compagnonnage.
3 –L’apparition ici et là, voire la multiplication, dans le Sud de la France, de ces « lieux à vivre » a correspondu à un phénomène social qui s’est ensuite efforcé de se formaliser. On rappellera pour mémoire qu’avant les « lieux à vivre », l’association VCM avait invité et mis en œuvre plusieurs CASEL (Contrats d’Action Solidaires et Economiques Locales) qui associaient, dans un partenariat large et original, sur un territoire déterminé, l’ensemble des acteurs concernés par des démarches d’action sociale coordonnée et souvent innovante. Le maillage territorial de VCM (qui, pendant 20 ans et jusqu‘en 2016, a rassemblé plus d’une centaine d’associations porteuses d’initiatives solidaires locales) a permis le repérage des « lieux à vivre » et a conduit VCM, lors d’un comité de pilotage, à interpeller, en 2002, les pouvoirs publics (DRASS PACA) pour la constitution d’un groupe de travail spécifique.

En parallèle, le comité éthique de VCM a engagé une réflexion sur une charte des « lieux à vivre ».

4 –
Depuis 2002, le groupe de travail a poursuivi sa réflexion, à partir de réunions foraines (4 à 5 réunions par an) en alternance dans chacun des « lieux à vivre », ce qui permet à chaque participant d’apprécier concrètement sur le terrain le fonctionnement réel de chaque structure. Ces réunions, très conviviales (partage des repas avec les résidents du lieu où se déroule la réunion, visites sur le terrain et découverte des différentes activités développées, etc.) s’organisent en présence et avec la participation active des personnes accueillies dans le lieu de réunion, avec les représentants des autres « lieux à vivre ». Une dizaine de LAV participent, en moyenne, à ces réunions.

Les travaux du groupe portent généralement sur des problèmes communs à tous les « lieux à vivre » : la clarification des pratiques, la réalité et les caractéristiques des lieux et des personnes, l’actualité sociale, l’évolution des publics accueillis, les activités développées et les projets en cours, la participation financière (ou sous d’autres formes) des personnes accueillies et leur rémunération éventuelle, les rapports avec les institutions et instances officielles, les parcours de vie…

Ces réunions ont régulièrement fait l’objet de comptes-rendus qui permettent d’apprécier la richesse des échanges faits en totale confiance et transparence. C’est ce qui a, peu à peu, permis l’élaboration implicite puis explicite d’une grille d’analyse et d’évaluation des pratiques (voir par ailleurs).

De ces échanges, on peut retenir quelques constantes, préoccupations, interrogations et réflexions communes à tous les « lieux à vivre ». Par exemple :

* les interrogations récurrentes sur le « statut » des personnes accueillies ;

* les problèmes nés de la distinction bénévoles/professionnels, ou encore de celle entre espace public et espace privé ;

* les questions de la protection sociale des résidents : activité/travail, couverture sociale d’éventuels accidents ; droits à la retraite des personnes en « activité » sur le lieu ;

* la précarité des financements, quand ils existent, et les inquiétudes autour de leur pérennisation ;

* les problèmes de santé des personnes accueillies (santé psychique, maladie alcoolique, addictions…) ;

* les recherches d’accès à la citoyenneté, la position des personnes et des structures par rapport au pacte républicain…
5 –L’ensemble de ces travaux, les problèmes de fond qu’ils ont posé et qui ont, parfois, été portés sur la place publique, ont permis d’engager un dialogue avec les pouvoirs publics.

 

◊  Avec les pouvoirs publics locaux : l’interpellation des DRASS PACA et Languedoc-Roussillon, des DDASS et des Conseils Généraux de ces Régions, s’est faite sur la base de la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et de l’article L 313-7 du Code de l’Action Sociale et des familles, autorisant l’expérimentation pour des dossiers présentés devant le CROSMS (Comité Régional d’Organisation Sociale et Médico-Sociale).

Le dialogue nourri avec les services officiels a permis d’aboutir à une première forme de reconnaissance. C’est ainsi que :

* en avril 2006 M. Trégoat, directeur général de l’action sociale (DGAS) a été accueilli à Vogue la Galère, « lieu à vivre » situé à Aubagne (13) ; M. Sellier, sénateur, alors président du Conseil National de Lutte contre les Exclusions (CNLE), a été accueilli au Mas de Carles, autre « lieu à vivre » ;

* le 18 avril 2005, après avis favorable du CROSMS de Languedoc-Roussillon (en octobre 2004) [2], le préfet du Gard a signé un arrêté autorisant l’ouverture d’un établissement expérimental« lieu à vivre » au Mas de Carles, à Pujaut, dans le Gard, pour trois ans, avec renouvellement soumis aux résultats d’une évaluation (résultat positif, qui se déroulera en avril 2008, sous la double signature des DDASS du Vaucluse et du Gard) ; le 18 novembre 2005, la DDAS du Gard signe un conventionnement avec le Mas de Carles et acte un financement partiel et sur les fonds CHRS alors disponibles (participation financière reconduite depuis lors) ;

* en novembre 2005, le CROSMS PACA prend acte de l’existence d’un « lieu à vivre » expérimental Vogue le Galère, à Aubagne (13), financé à partir de fonds d’urgence sociale;

* de son côté le GAF (Groupe Amitié Fraternité) sera reconnu par la DDASS de Toulouse et financé sur des fonds « lieu de vie ».

◊ Avec les pouvoirs publics nationaux : outre la visite déjà citée de M. Trégoat (DGAS) à Vogue la Galère, on notera qu’en 2004 VCM a été sollicitée pour apporter son témoignage et sa contribution au groupe de travail mis alors en place par le DGAS et la Direction Générale du Travail sur « Situation de travail hors contrat de travail dans le champ de l’action sociale et de l’insertion ».

Par ailleurs, une première rencontre a lieu, cette même année 2004, avec Alain Régnier, alors directeur de cabinet de Nelly Ollin, ministre déléguée à la lutte contre l’exclusion. Une deuxième rencontre avec Alain Régnier, devenu conseiller social de Dominique de Villepin, Premier Ministre, s’est tenue à Matignon le 15 septembre 2006, en présence de M. le sénateur Sellier, alors président du Conseil National de Lutte contre les Exclusions (CNLE), pour présenter les projets d’évaluation de l’expérimentation des trois structures : le Mas de Carles (Gard), Vogue la Galère (Bouches du Rhône), le GAF (Toulouse).

A l’automne 2006, l’expérience « lieux à vivre » a fait l’objet d’une présentation devant le Conseil « ad hoc » mis en place et présidé par Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, dans le cadre du Plan d’Action Renforcé en faveur des Sans Abri (PARSA).

6 –Quels qu’aient été l’investissement et la conviction des représentants des « lieux à vivre » dans les réunions des groupes de travail, quelles qu’aient été les manifestations d’intérêt des pouvoirs publics tant locaux que nationaux, il est apparu très tôt nécessaire que l’expérimentation soit étudiée, analysée et, le cas échéant, validée par des regards extérieurs, notamment ceux du monde de l’université et de la recherche.

C’est pourquoi divers centres de recherche ont été sollicités. Ils ont trouvé dans la mise en œuvre et le fonctionnement des « lieux à vivre », matière à étude. On pourra, à cet égard, utilement consulter :

* les travaux d’Éric Verdier, sociologue au LEST/CNRS d’Aix en Provence ;

* l’étude conduite par Virginie Poujol, ethnologue au LERIS (Montpellier) ;

* une étude produite par le cabinet AMEDIS (Montpellier) ;

* les travaux propres au groupe de travail spécifique qui s’est réuni régulièrement depuis 2002 ;

* le regard des pouvoirs publics locaux, régionaux ou nationaux ;

* l’apport théorique des travaux des universitaires et des chercheurs.

On rappellera ici, à titre d’exemples, au delà de divers articles ou écrits internes, souvent repris dans les publications de VCM :

→d’une part la participation active  à une journée sur « l’entraide civile et l’expérimentation locale, vecteurs de cohésion sociale » organisée au Sénat (Palais du Luxembourg) le 11 avril 2011, où plusieurs intervenants  (cf. Revue ESPRIT d’octobre 2012) ont pu s’appuyer sur l’expérience des lieux à vivre pour  défendre et promouvoir le concept d’entraide civile et par ailleurs, interpeller les pouvoirs publics sur les obstacles posés aux initiatives de solidarités par une législation et une règlementation considérées comme « étouffantes » ;

→d’autre part le travail de réflexion conduit par l’association Voisins et citoyens en Méditerranée (VCM) s’appuyant notamment sur l’expérience des lieux à vivre, dans le cadre des groupes de travail mis en place, fin 2012/ début 2013 pour l’élaboration du Plan gouvernemental pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Des personnalités comme les regrettés Michel Dinet et François Chérèque ont alors manifesté leur intérêt (et leur sympathie) pour les réflexions développées par Michel Bérard au titre de l’UILV et VCM;

→enfin, les travaux de recherche, les analyses et les réflexions fondés sur l’observation au quotidien du mode de fonctionnement des lieux à vivre ont permis de dégager quelques idées force sur les nouvelles pratiques sociales, reprises dans la « plate-forme » nationale créée à la suite de l’appel, en 2005, à la « fraternité en acte »; même si, à ce jour, certaine idées n’ont pas prospéré, on peut noter que  tel rapport  sur l’adaptation des normes  à la réalité et la diversité des situations locales  été accueilli très favorablement devant  l’ONPES comme devant le CNLE.

Tout cela se retrouve et, d’une certaine façon, se concentre dans la démarche, elle-même originale, d’évaluation.

7 –
La multiplication, la variété et la richesse des échanges poursuivis depuis 2002, y compris et d’abord avec les personnes accueillies dans les « lieux à vivre », ont permis l’élaboration d’une grille d’analyse des pratiques faisant ressortir les « invariants », mais respectant aussi les spécificités propres à chaque lieu (pas de normes ni de normalisation).

La grille d’analyse, élaborée au fil des réunions et avec la participation des résidents, testée, remaniée, ajustée au fil du temps, a servi de trame à la confection d’outils d’évaluation spécifique aux « lieux à vivre »,laissant toute leur place aux particularités des personnes accueillies, au caractère « hors normes » de ces populations, mais aussi à la dimension qualitative des prises en charge, à l’accompagnement, au compagnonnage : le vivre ensemble, la dignité et la promotion des personnes, l’accès aux droits, à la citoyenneté, à la qualification professionnelle (plusieurs résidents des « lieux à vivre » ont obtenu des diplômes par la VAE).

Une évaluation externe plus « classique », au sens de la loi 2002-2, a par ailleurs été conduite par les DDASS du Gard et du Vaucluse auprès du Mas de Carles, en vue du renouvellement de l’autorisation accordée en 2005. Elle s’est conclue par un rapport favorable en septembre 2008.

Une année plus tard, la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (dite aussi loi Boutin), dans son article 73 qui modifie article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles, est venu conforter nos choix d’accueil et donner un poids supplémentaire à nos intuitions : « Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins ou vers un logement adapté à sa situation. »(L 345-2-3). [3]

8 –
A partir de l’année 2000, les « lieux à vivre » ont participé activement à la recherche-action « validation des acquis de l’expérience », initiée par VCM, en collaboration avec le CEREQ, la DRTEFP PACA et Espace Compétences. Une « attestation d’activité » sera proposée et retenue par les organismes valideurs, afin de mettre en place un accompagnement spécifique pour un traitement équitable des demandes de VAE.

Cette démarche VAE permet à toute personne de faire reconnaître son expérience (professionnelle ou non) afin d’obtenir un diplôme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle. A travers ce recours il s’agit de favoriser la reconnaissance des compétences et savoir-faire développés par les résidents de nos maisons, à travers les activités non salariées qui sont développées sur les différents lieux à vivre (réunis , à compter d’avril 2011 dans une association interrégionale des lieux à vivre :l’UILV).

Cette ouverture sur l’acquisition de diplômes officiels (CAP, BEPA) a amené à prendre au sérieux cette dimension de formation par la mise en place de matériels et de méthodes adaptés à cette volonté. Cela a commencé par la rationalisation et la modernisation de pratiques anciennes pour permettre, à celles et ceux qui le voulaient, d’accéder à une démarche diplômante. Les premières actions ont démarré dès 2005, avec l’accompagnement d’une salariée de VCM, sous la houlette de Anne-Marie Charraud, secrétaire générale de la commission nationale de certification professionnelle, et les compétences des valideurs territoriaux. Les premiers diplômes ont été obtenus en 2008.

Le 20 mai 2014, une journée est organisée à Marseille (en présence du Conseil Régional PACA, de la DIRECCTE PACA, DRJSCS Paca, OPCA et OPACIF, URIOPSS, FNARS) pour conforter la démarche, en mesurer la portée et les effets.

9 –
Depuis 2010, les « lieux à Vivre » ont pris leur rythme de croisière. Trois à quatre rencontres par an rassemblent les associations qui le souhaitent.

Chaque rencontre donne lieu à un temps de partage des questions, des expériences et des projets des uns et des autres, avant de proposer l’après-midi un thème commun pour éclairer nos pratiques : cela va des problèmes de sécurité à l’aide apportée quant aux soucis administratifs en passant par les addictions, l’alcool, la proposition d’un règlement intérieur, etc. Dans la volonté commune de visibiliser la pédagogie voulue par nos lieux :

*  accueil et hébergement (sans limitation de temps à priori : « le temps qu’il leur faut ») ;

* vie en commun autour d’un contrat de compagnonnage ;

* activités sur le lieu, dans la dynamique d’une économie solidaire et d’entraide ;

* accès à la citoyenneté (administrative, culturelle, territoriale, etc.).

Quatre constantes pour promouvoir les repères d’une insertion réelle (ici ou au dehors) et permettre aux personnes de choisir librement leur avenir.
Ce travail permettra une reconnaissance de l’Union Interrégionale des Lieux à Vivre par la DGCS, dans sa capacité à porter le projet d’inscription de ses membres en vue d’une habilitation OACAS.
Au terme, une proposition de subvention sera évoquée (n’excédant pas 29.100 €). Signalons qu’elle ne sera jamais versée, alors qu’elle avait été actée et validée par le service compétent de la DGCS.

10 – 
Au regard de leur expérience de travail en réseau mis effectivement en place et opérationnel depuis près de 10 ans, les différents« lieux à vivre », régulièrement réunis, ont décidé en avril 2011 (cf. statuts en annexe) de se constituer en association dénommée « Union Interrégionale des Lieux à Vivre » (UILV).

Voici les noms des membres : Mas de Carles à Villeneuve les Avignon, Ferme Claris à Lézan, La Celle à Roquedur (le Gard) ; La Fraternité des Moreuils à Vernègues, Vogue la Galère à Aubagne (Bouches du Rhône) ; Médiation à Le Cannet des Maures, AC3 à Montferrat, Alice à Fréjus (Var) ; la Bergerie de Berdine à Saint Martin de Castillon (Vaucluse) ; Groupe Amitié Fraternité à Toulouse (Haute Garonne) ; Cavaldone à La Motte du Caire (Alpes de Haute Provence).

L’objectif clairement affiché est de pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 17 de la loi 2008-1249 du 1 décembre 2008, dispositions reprises dans l’article L 265-1 du code de l’action sociale et des familles. Les modalités d’agrément des Organismes d’Accueil Communautaire et d’Activités Solidaires(OACAS), telles que précisées par le décret 2009-863 du 14 juillet 2009, paraissent en effet réunies pour l’Union Interrégionale des Lieux à Vivre (UILV), et pour chacun des Lieux à vivre, sauf un (« Cavaldonne ») qui ne l’a pas souhaité. Après le montage du dossier et la venue au Mas de Carles (dans la cadre d’une rencontre de l’Union) des deux fonctionnaires de la DGCS en charge du dossier (dont Mme Lebon), un premier passage devant le Conseil National de Lutte contre les Exclusions, le 18 mai 2017 [4] :

acte l’avis favorable de la DGCS pour l’attribution de l’agrément à trois des dix associations qui présentaient leur candidature, au motif que ces trois-là étaient dans une démarche clairement marchande (AC3, Berdine, Mas de Carles) ;

* débouche sur une longue discussion-plaidoirie concernant la notion d’insertion développée par l’ensemble de nos lieux : l’insertion ne peut pas se résumer à un acte marchand déduit de nos activités : « A travers l’exercice d’activités dans leur lieu à vivre, les résidents, parfois soutenus par des bénévoles ou des salariés, sont amenés à (re)apprendre les savoirs être sociaux de base indispensables à l’accès à la vie professionnelle : être coopératif, faire équipe, respecter une forme de hiérarchie, les horaires et les consignes. Pour beaucoup, c’est le temps de (re)découvrir des savoirs faire, de les partager et de les développer dans le cadre de formations maison ou organisées par un organisme de formation : nos associations sont ainsi engagées dans la démarche de validation des acquis de l’expérience (VAE). » [5]Ou, pour le dire plus brutalement, « l’action sociale des lieux à vivre ne vise pas à la promotion des produits : elle s’attache d’abord à la promotion des personnes » [6]

* suscite une volonté d’ouverture du CNLE : « Le président (Etienne Pinte) déclare l’adoption d’un avis favorable du CNLE sur la demande d’agrément de l’Union interrégionale des lieux à vivre pour trois des dix structures présentées, au titre du décret du 14 juillet 2009 relatif à l’agrément des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires. Le CNLE estime que la possibilité d’un agrément pour les autres établissements au statut OACAS devrait pouvoir être examinée dans un délai de six mois dans le cadre de la procédure de suivi.
 
Le CNLE estime en outre que l’État (DGCS) devrait approfondir les critères d’appréciation relatifs aux activités proposées aux personnes accueillies pour statuer sur l’éligibilité à l’agrément OACAS des organismes qui le sollicitent. Une meilleure prise en compte de la vocation sociale de ces organismes devrait se traduire par la reconnaissance de l’acquisition de compétences et de savoir-faire des personnes dès lors que ces activités permettent d’envisager un parcours d’insertion professionnelle ultérieur, qu’elles apportent ou non des ressources financières à la communauté. »

Un second dossier 
est renseigné à nouveaux frais et un second rendez-vous est fixé auprès du CNLE le 23 octobre 2018 [7]

A cette occasion, l’ensemble des lieux à vivre qui avaient sollicité l’adhésion à l’OACAS a été agréé
(tous, sauf Cavaldone, donc).

Le président conclura cette séance par un remerciement à la délégation de l’Union Interrégionale des Lieux à Vivre qui a permis au CNLE de progresser dans la compréhension de ce que pouvait signifier le mot « insertion » pour des personnes en grande difficulté et très éloignées de l’emploi.

Cet agrément offre à nos structures :

* l’abri d’un statut qui évite le recours aux prud’hommes de la part de personnes frustrées de ce qu’ils pourraient estimer du temps perdu pour eux ;

* de travailler autour de l’attribution de points retraite (pour celles et ceux qui en sont actuellement privés), afin que leur passage et le temps passé en activité dans nos structures ne soit pas du temps gâché par l’absence de tout gain pour leurs personnes.

11 –Cet agrément nous a récemment permis d’intégrer un groupe de travail et de réflexion sur les « tiers lieux »auquel participent, dans un premier temps, le laboratoire LERIS, Emmaüs, le Secours Catholique, les Jardins de Cocagne et, donc, l’Union Interrégionale des Lieux à Vivre. Une première rencontre a eu lieu à Paris le 15 juillet 2019.

Cette réflexion veut se développer à partir :

– de l’inflexion gouvernementale concernant l’établissement d’un maillage de « tiers lieux »sur les territoires pour lequel aucune association n’a été consultée et où, actuellement, tout semble s’être noué autour de la question économique et du développement du numérique. Tout en reconnaissant la nécessité de l’économique, s’est manifestée, autour de la table, la volonté de produire une incitation à ne pas négliger les hommes et leurs soucis quotidiens, à ouvrir l’économique à ce qui se passe sur le terrain en matière d’insertion, d’innovation statutaire en direction des exclus de l’économique qui sont nos publics premiers et prioritaires ;

-de la réflexion engagée par Antoine Burret en forme de thèse de doctorat, intitulée « Etude de la configuration en tiers-lieu : la repolitisation par le service. » Services échangés, services réciproques et gratuits, dans une dynamique d’engagement pour/sur un territoire. L’auteur rappelle que « de manière générale, sont qualifiés de tiers-lieux certains emplacements qui permettent la mise en relation approfondie et le dialogue entre des individus divers sans déterminisme marchand. » [8]

La méthode est de proximité : « J’ai exploré les tiers-lieux en essayant de comprendre comment s’organisent ces individus, ce qu’ils redoutent, ce qu’ils espèrent. J’ai étudié sur le terrain ces populations émergentes, avec leurs coutumes et leurs mœurs. J’ai utilisé leurs services, leurs outils, leurs référentiels juridiques et politiques. » Non plus à partir du haut, mais au ras de l’existence concrète des personnes et des groupes. Vivre avec. Serions-nous si éloignés que cela de cette analyse ?

Au cours de cette première rencontre nous nous sommes mutuellement invités à donner notre définition des tiers-lieux qui ne soit pas le simple développement du numérique, mais le déploiement des collaborations autour de l’habitat, de l’accès à l’alimentation, au culturel, etc. en résonance avec leur impact sur le territoire. D’où l’évocation de co-construction, de la place de l’engagement et de la promotion de l’autonomie des personnes (ni renvoi à la solitude, ni autarcie, mais travail sur l’inclusif), de la construction au service du lien et de la mutualisation des compétences, de l’intérêt pour une approche transversale et collaborative à l’aune d’une dynamique « tiers-lieux » qui ne renvoie pas les personnes à la « faute » d’être ce qu’elles sont, de la vérification des apports procurés à chacun et au groupe… et le refus de réduire les « tiers-lieux » au tout numérique et l’économie à l’entreprise : il y a de l’économique dans nos lieux. Reste à le valoriser.

La « longue marche » se poursuit, donc, dans la volonté de se vouloir fidèles aux hommes, au développement du collectif et de l’humain, en chacun et dans l’ADN de chaque groupe ou regroupement.

Michel Bérard (Garages du coeur, Marseille)

Serge Davin (CREAI PACA – URIOPSS)
sont les principaux rédacteurs de ce texte
Olivier Pety (président du mas de Carles)
Jacques Vivent (secrétaire général UILV)
ont relu et augmenté ce texte des & 9, 10 et 11
Tous sont membres du conseil d’administration de l’UILV.


Fait à Marseille et Villeneuve les Avignon, le 23 août 2019

[1]Porté, entre autre, par Michel Bérard, Serge Davin et beaucoup d’autres.
[2]Ce passage a été obtenu avec l’appui et les conseils de Yannick Moureau, alors inspecteur à la DDASS du Gard.
[3]« Art. L 345-2-2 : Toute personne sans abri, en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. Cet hébergement d’urgence doit lui permettre, dans des conditions d’accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l’hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d’hébergement… et d’être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l’aide justifiée par son état… »
[4]La délégation UILVC est composée de Michel Bérard, Serge Davin, Olivier Pety. Une convention est signée entre l’Etat et l’UILV. Elle court jusqu’en 2022.
[5]Extrait du dossier de demande d’agrément au titre des Organismes d’Accueil Communautaire et d’Activités Solidaires, présenté par l’UILV en février 2017.
[6]Intervention de Serge Davin pour la séance au CNLE du 18 mai 2017.
[7]La délégation est composée de Michel Bérard, Jacques Vivent, Daniel Audeval (La Celle).
[8]Voir p. 87, note 265, de la thèse d’Antoine Burret.