Ritualisation de la vie quotidienne
dans la ré-appropriation sociale
et la construction d’une puissance collective
Observation ethnographique dans deux lieux à vivre :
le Mas de Carles (Villeneuve-lès-Avignon)
et Vogue la Galère (Aubagne)
février 2007
Virginie POUJOL,
ethnologue
VOISINS et CITOYENS en MEDITERRANEE
Sommaire
2 Eléments d’histoire des deux lieux à vivre
3 L’arrivée des personnes dans les lieux de vie
3.1 La « carrière » des personnes
3.3 La formalisation de leur installation dans le lieu à vivre
4 Le lieu à vivre : ritualisation et représentation sur les éléments de leur vie quotidienne
4.1 L’organisation de l’espace et son appropriation
4.2 La structuration du temps des résidents
4.3 Les représentations du travail
5.1 Recréer des sentiments d’appartenances
5.2 Recréer des supports pour atteindre la capacitation
6 Annexe1 : règlement intérieur du mas de Carles
1 Introduction
L’association Voisins et Citoyens en Méditerranée (VCM) s’intéresse, depuis sa création en 1995, aux « questions soulevées par le développement de la pauvreté dans les régions méditerranéennes ». Pour réaliser son projet, elle s’est fixée pour but « l’appui à l’émergence et au renforcement des solidarités de voisinage mises en œuvre par des personnes paupérisées pour l’amélioration de leur vie quotidienne et leur promotion culturelle, économique, politique et sociale.
La participation à l’animation du débat public, « à l’interpellation des citoyens, des acteurs sociaux, des décideurs sur les questions de société relatives aux attendus des textes « Repères » de l’association ».
Dans ce cadre, elle s’est intéressée à des modes d’accueil des personnes sans domicile fixe (SDF) qui se voulaient différents des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS). Après avoir interrogé les pratiques de ces lieux et avoir mené un temps de réflexion, l’association VCM et les associations porteuses de ces projets, ont formalisé ce qu’ils appellent maintenant des « Lieux à vivre ». Pour eux donc, « la pratique d’accueil des « Lieux à vivre » veut être une proposition pour répondre au vide constaté entre le tout CHRS et le rien de la rue ; une réponse alternative entre le tout de la mise à l’emploi (et de préférence en six mois) et le rien de l’errance et de la reconduction de situations abandonniques. Hébergement (comme préalable à toute démarche), vie commune (comme lieu d’une première insertion), activités (pour retrouver rythme de vie et utilité), accès à la citoyenneté (pour développer estime de soi et sens de l’environnement culturel social, etc.) : ces piliers de nos actions, liés et indépendants l’un de l’autre, veulent permettre aux personnes et aux politiques sociales de sortir de l’impasse de l’actuel « tout ou rien », la rue ou l’inclusion sociale. Est-il utile de préciser qu’on peut construire à partir de l’un de ces piliers sans avoir les moyens d’accéder aux autres, pour un temps plus ou moins long ? La souplesse de la formule permet d’envisager d’accueillir sans pour autant imposer la programmation préalable d’un « parcours » obligatoire : allers et retours rythmeront donc nécessairement cette forme d’accueil ».
Le terme alternativement employé (plutôt utilisé par ceux qui y vivent) est celui de « communauté » pour décrire un espace de vie dans lequel on fait le choix[1] de venir et où l’on partage un certain nombre d’éléments de la vie quotidienne. Les formes et les modes d’organisation varient d’un lieu à l’autre.
Afin de formaliser et de faire reconnaître auprès des institutions publiques ce type d’accueil, une expérimentation intitulée Contrat d’Action Solidaire et Economique Local (CASEL) a été lancée sur deux lieux à vivre après une longue phase d’analyse des pratiques, de production et d’adoption d’une charte[2]. Les lieux étudiés sont le Mas de Carles à Villeneuve-Lès-Avignon et Vogue la Galère à Aubagne (VLG)[3].
Ces sites se sont engagés dans un processus d’autorisation par les CROSMS[4] (Commission Régionale des Œuvres Sanitaires et Médico-sociales), qui leur a été accordé en 2004. Ce dispositif leur permet d’obtenir un agrément (qui est une forme de reconnaissance de leur travail) et des financements. En 2005, le Secrétariat d’Etat à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion décide d’établir une convention-cadre liant Voisins & Citoyens en Méditerranée et le Ministère pour cette expérimentation. Des conventions triennales ont été signées entre les DDASS et les sites expérimentaux.
C’est dans ce cadre qu’un travail de type ethnographique m’a été commandité, dans le but initial de « comprendre et d’analyser les rites et les mythes présents ou non dans ces lieux, comme autant d’éléments permettant aux personnes y vivant de donner un sens à leur vie et à leurs pratiques sociales ».
Les personnes qui vivent dans ces lieux sont communément dénommées SDF, marginaux, exclus, pauvres. Leur parcours de vie est souvent chaotique et ils ont tous connus, durant des périodes plus ou moins longues, la vie dans la rue avec toutes les pratiques sociales et les stigmates qui lui sont associés. Souvent aussi ils ont des pratiques addictives : alcool, drogues et des problèmes de santé et/ou psychologique. Les liens avec leurs familles sont fragiles voire inexistants. On comprend bien que dans ces conditions de désaffiliation, pour reprendre l’expression de Castel, il est intéressant de voir ce que représente et permet un lieu à vivre pour ces personnes.
Pour se construire et se situer dans la société, les hommes et les femmes ont besoin d’un certain nombre d’attributs qui leur permet de maîtriser et de s’adapter au monde social dans lequel ils vivent. Ils sont intégrés dans chaque personne, mais au cours d’évènements de la vie, certains d’entre eux peuvent être détruits, c’est le cas des personnes dites exclues.
Pour décrire ce processus, Castel parlait en 1995 de « désaffiliation » comme le lien entre vulnérabilité de la structure familiale (et de l’inscription relationnelle dans des réseaux de sociabilité) et précarité économique. Ce terme nous semble préférable à celui d’exclusion qui décrirait plus un état qu’un processus. D’autre part, Castel explique que désaffiliation ne signifie pas absence totale de lien (des auteurs comme Damon J., Massé E., ont montré que les sans-abri conservent des capacités de relation et d’action, même s’ils n’ont pas le même type d’activités et de liens sociaux que le monde social dans lequel ils évoluent), mais aussi « à l’absence d’inscription du sujet dans des structures qui portent un sens » (Castel, 1995, p. 673). Il fait l’hypothèse de nouvelles sociabilités flottantes qui ne s’inscrivent plus dans des enjeux collectifs, « ce qui leur fait défaut, c’est moins sans doute la communication avec autrui que l’existence de projets à travers lesquels les interactions prennent sens[5] » (op cit., p. 673).
Même si les relations sociales dites traditionnelles et le lien au travail est réduit ou absent, l’habitus, l’emprise des normes et les capacités d’action sont toujours présents, il manque un cadre pour donner un sens à leurs interactions et donc à leur vie. « Ce qui importe c’est que, sans grandes possessions privées, généralement sans activité rémunérée dans la stabilité, avec des droits qu’ils peuvent ou non faire valoir, il leur est difficile de s’identifier et d’exister positivement. De fait, les SDF, qu’on ne peut valablement fixer dans une catégorie définitive de « désaffiliés » ou de « désocialisés », disposent de supports très réduits pour ce qui relève des diverses propriétés permettant l’autonomie individuelle. » (Damon, 2003, p. 63).
Que se passe-t-il donc pour les personnes, dont les parcours se rapprochent pour la plupart de ceux décrits plus haut, qui viennent vivre au Mas de Carles et à Vogue la Galère ?
Est-ce que le fait de vivre dans un « lieu à vivre », dans une communauté, donc dans un collectif permet de réinscrire la vie de ces personnes dans un projet à travers lequel les interactions prennent un sens ? Quels sont les éléments qui donnent un sens aux interactions ? Est-ce que les rites et les mythes présents dans ces lieux permettent cela ?
Est-ce que le fait de donner un sens aux interactions, par l’intermédiaire de rites et de mythes, autorise la ré-appropriation de soi vue comme la capacité à construire des supports, qui permettront de faire des choix pour construire sa vie ? Existe-t-il des capacités acquises à l’intérieur des structures, qui permettaient l’émancipation des personnes ou alors sont-elles créatrices de stigmatisation ?
Dans ces communautés, un certain nombre de rites et de mythes participent à l’organisation sociale du lieu.
Le rite s’inscrit dans la vie sociale par le retour des circonstances appelant la répétition de son effectuation. Il facilite la socialisation en permettant l’intégration des valeurs et des codes présents dans un groupe donné. Le dévoilement rituel permet de révéler la cohésion et la force du groupe (Segré M., 1997).
Pour Bourdieu, le rite de passage a une fonction sociale, qui est de séparer ceux qui l’ont subi et ceux qui ne l’ont pas subi, il établit une frontière durable entre ceux qui sont concernés par ce rite et ceux qui ne le sont pas. C’est pour cela qu’il préfère parler de rite de consécration, de légitimation ou d’institution. « Tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c’est-à-dire à faire méconnaître en tant qu’arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire ; ou, ce qui revient au même, à opérer solennellement, c’est-à-dire de manière licite ou extra-ordinaire, une transgression des limites de l’ordre social et de l’ordre mental qu’il s’agit de sauvegarder à tout prix » (Bourdieu P., 1981, p. 58).
Les rites consacrent donc la différence et instituent des oppositions sociales. Ils constituent en distinction légitime, en institution, une simple différence entre des faits.
Les rites d’institution ont une efficacité symbolique : « l’institution d’une identité, qui peut être un titre de noblesse ou un stigmate (…) est l’imposition d’une essence sociale. Instituer, assigner une essence, une compétence, c’est imposer un droit d’être qui est un devoir être (ou d’être). C’est signifier à quelqu’un ce qu’il est et lui signifier qu’il a à se conduire en conséquence. L’indicatif en ce cas est un impératif » (p. 60).
Le mythe sert de justification à l’existant, il renvoie au réel mais opère des choix. Il rassemble aussi les croyances et représentations, les peurs et les rêves. Il y a un certain bricolage avec les mythes, qui ont pour fonction de légitimer une situation et permettent aux habitants de s’identifier à un personnage ou une situation symbolique.
Mais, pour Barthes, « le mythe est un système de communication, c’est un message. (…) c’est un mode de signification » (Barthes R., 1957, p. 181). En effet, au-delà de la structure du mythe lu comme mode explicatif de la construction d’un passé, il y a l’analyse de ses références et de sa signification comme grille de lecture particulière d’un moment donné dans une société.
C’est à travers ces systèmes de classement et de communication que sont les rites et les mythes, que nous allons tenter de comprendre ce que permettent ces lieux à vivre.
La méthode utilisée pour réaliser cette étude est l’observation participante, démarche propre à l’ethnologie. Cette méthode permet, par l’immersion de l’ethnologue dans son « terrain » (son lieu d’étude), de comprendre de l’intérieur les pratiques sociales et les interactions entre les personnes. Cette étude ne se veut pas exhaustive et ne prétend pas rendre compte de l’intégralité des éléments constitutifs de ces lieux. Il s’agira d’apporter un regard particulier et ponctuel qui visera à apporter des réponses aux questions soulevées plus haut.
J’ai passé un peu plus d’une semaine dans chaque lieu. Pour des raisons d’organisation, je n’ai pas pu dormir à Vogue la Galère, mais je résidais sur place au Mas de Carles. Dans les deux lieux, j’ai partagé les repas (uniquement celui du midi pour VLG), assisté aux réunions, participé aux activités (travaux de récolte et de préparation des légumes, sortie des chèvres, participation à la traite…), aux moments de détente (jeux de pétanque).
A partir d’une grille de questions préalablement établie, plutôt que de réaliser des entretiens directifs autour d’une table, j’ai réalisé des entretiens non-directifs de manière informelle lors des activités. Cette méthode me paraissait être plus adaptée pour un séjour court où la confiance doit s’établir rapidement pour obtenir des discours qui sortent du sens commun.
J’ai pu rencontrer trois types d’acteurs : les responsables et/ou les salariés, les résidents et les bénévoles. Un autre acteur n’était pas présent sur le site, l’association VCM, mais les discours sur les lieux à vivre émanent principalement d’elle. J’examinerai les mouvements entre les logiques intentionnelles de l’association et les logiques non intentionnelles des personnes hébergées. Le premier correspondant à la volonté théorique, le second à « ce qui est produit indépendamment de la conscience que ces derniers ont de la pratique et du vécu communautaire » (Bergier B., 1992, p. 13).
Les personnes qui vivent dans ces lieux sont appelés « résidents », « hébergés », par comparaison aux « urgences » dont le statut dans le lieu est provisoire. Ces derniers viennent d’arriver et ont la possibilité de se reposer et de prendre un temps de réflexion pour « choisir » de rester ou de partir[6].
Chaque terme (« résidents », « hébergés ») ne recouvre pas les mêmes aspects de la vie dans ces lieux, par commodité, nous les emploierons pour évoquer les personnes présentes de manière permanente dans ces espaces. L’étude portant sur ce qui est dénommé « les lieux à vivre », le regard de l’ethnologue portera plus particulièrement sur les personnes qui vivent là sur un temps long, même si les rapports entre « hébergés » et « urgences » seront analysés.
Se côtoient aussi dans ces lieux, des personnes qui viennent dans le cadre d’un chantier d’insertion, de Travaux d’Intérêt Généraux, d’Action Collective d’Insertion, (se sont des dispositifs financés par les différentes institutions partenaires, qui permettent à des personnes, selon leur situation sociale, d’exercer une activité dans le but d’accéder à une ré-insertion).
Pour réaliser ce travail, nous allons regarder dans un premier temps la manière dont s’effectue le passage de « vivre à la rue » à vivre dans le lieu à vivre. Nous essaierons de comprendre la « carrière » de ces personnes, notamment à travers des informations fournies dans les bilans d’activité des deux structures afin d’obtenir une vision plus globale sur les personnes qui arrivent dans ces lieux et leurs caractéristiques sociales. Enfin, nous examinerons de plus près ce qui constitue le passage de l’urgence à la résidence.
Dans un second temps, c’est d’une part la ritualisation de leur vie quotidienne qui retiendra notre attention pour comprendre ce qui, dans les différents éléments de leur vie quotidienne (espace, temps, rapport au travail…), permet d’inscrire ces personnes dans un statut, un rôle social.
Enfin, fort des ces analyses, nous verrons en quoi ces rites et ces mythes facilitent à ces personnes, une ré-appropriation de soi et une certaine forme de reconnaissance sociale.
2 Eléments d’histoire des deux lieux à vivre
Le Mas de Carles et Vogue la Galère sont différents par bien des aspects, ils ont chacun leur histoire et leur mode d’organisation. Avant d’entamer le travail, nous allons les décrire afin de mieux cerner leur spécificité et le cadre dans lequel se déroulent les éléments analysés.
2.1 Le Mas de Carles
Joseph Persat, prêtre de la paroisse catholique de Villeneuve-lès-Avignon, est le fondateur et la figure emblématique du Mas de Carles. Il reçoit en donation un mas en 1964, situé sur une ancienne carrière, dans lequel il venait faire jouer au football des jeunes vivants dans les HLM. Peu à peu, il va accueillir des personnes sans domicile qui vont, avec lui, reconstruire le mas. Il est important de préciser ici que l’association est propriétaire du lieu, ce qui va avoir, comme nous le verrons plus loin, une incidence sur plusieurs aspects de la vie et de la représentation du lieu des personnes hébergées.
En 1987, une association loi 1901 est créée pour aider à la gestion et amplifier son action dans le domaine de l’accueil des plus démunis. En 1995, le fondateur décède, il est enterré sur place. Son successeur, prêtre aussi et déjà présent sur place, prend le relais et poursuit le but de l’association qui est :
- « d’organiser l’accueil des personnes de milieux sociaux, culturels, idéologiques différents, ainsi que les personnes en difficultés matérielles et morales,
- de créer et de soutenir toute œuvre d’éducation populaire au plan physique, moral et culturel, d’assistance ou de prévoyance de toute forme et de toute nature,
- de favoriser des rencontres pouvant procurer l’épanouissement moral et spirituel de ceux qui le désirent,
- de gérer le foyer d’accueil, situé au lieu dit « Mas de Carles » et toute autre activité que le conseil d’administration déciderait d’entreprendre »[7].
Le Mas de Carles veut donner la possibilité aux personnes qui décident de venir là de pouvoir « s’en sortir ». Les textes précisent qu’« il n’est pas question de laisser quelqu’un de moins de 50 ans s’installer au mas comme à demeure », sur cet aspect, il rejoint en partie la conception des travailleurs sociaux œuvrant à l’insertion sociale des exclus puisque d’après les textes de référence, ce lieu est un sas vers un ailleurs autonome. Ce n’est pas une communauté de vie à long terme, mais c’est un lieu où l’on se pose le temps nécessaire. Notons toutefois, pour ramener la réalité à l’ambition de la tâche, que le plus ancien compagnon est là depuis plus de dix ans.
Un des critères d’accueil est d’accepter « des personnes dont les ressources sont inférieures à 1,5 fois le montant du seuil de pauvreté calculé sur le mode habituellement admis ». Par ailleurs, la structure applique un critère informel dans la décision d’accueil des personnes : ils essaient de maintenir un équilibre dans la nature des difficultés rencontrées par les personnes et leurs problèmes psychologiques, pour assurer une stabilité du lieu de vie. Cependant, face à la réalité des situations, les responsables sont souvent amenés à accueillir les personnes pour ensuite décider si elles peuvent rester ou pas en fonction de ces critères.
Le lieu est composé de plusieurs types d’habitations : un bâtiment principal a une capacité d’accueil de 22 lits, une petite maison adjacente propose deux chambres (une pour une famille et une pour un homme seul), un bâtiment met à disposition trois chambres pour l’accueil des familles, il abrite aussi le secrétariat et le bureau de la direction, enfin un studio avec deux places d’accueil. Ce qui fait un total d’environ 48 personnes hébergées sur place, en urgence ou en tant que résidents. A cela se rajoutent les caravanes qui accroissent la capacité d’accueil pour des personnes qui souhaitent plus d’indépendance, souvent des gens du voyage. Les personnes vivant en caravane n’ont pas été rencontrées et ne sont pas soumises aux mêmes règles de vie en collectivité que les résidents. Il n’en sera pas fait mention pendant l’étude.
L’équipe encadrante est composée d’un directeur, une éducatrice, un référent insertion, deux régisseurs encadrants, une secrétaire comptable, deux cuisiniers, un factotum et trois veilleurs (sur l’ensemble des salariés, 6 sont à temps complets et 6 à temps partiel). Il faut rajouter à cela 30 volontaires qui sont répartis sur différentes activités et dont le temps de présence sur les lieux est important puisqu’il équivaut à 7.65 temps plein.
2.2 Vogue La Galère
Initialement, La Louve (nom de la propriété) qui se situe à Aubagne est une Maison d’Enfants à Caractère Social (une MECS). La Société Marseillaise de Patronage (SMP) est propriétaire des lieux et loue les bâtiments et terrains aux associations présentes, dont Vogue la Galère.
En 1985, 3 éducateurs ont entendu l’appel lancé par Coluche pour installer une antenne des Restos du Cœur à Marseille, et ont décidé de le prendre en charge à la Louve. Pendant une grande période ils ont géré un entrepôt alimentaire, qui fournissait un nombre important de centres de distribution (40 centres de distribution dans les Bouches-du-Rhône et environ 15 000 repas par jour pendant 14 ans). Ensuite, « afin d’assurer la surveillance de la marchandise », les responsables du site ont hébergé des gens de la rue qui devaient, en échange d’un toit, surveiller les stocks. C’est devenu, peu à peu, un lieu de vie qu’il a fallu organiser.
Vogue la galère est devenu très rapidement la vitrine – plus que locale – des Restos du Cœur ; ils recevaient des journalistes, faisaient l’objet de reportages de télévision, ce qui leur a permis d’avoir une légitimité et une reconnaissance qui se traduisait par l’obtention de subventions de la part de l’association Nationale des Restos du Cœur. Ces aides leur ont permis de se structurer.
Pour alléger le fonctionnement (aide alimentaire et activités d’insertion), une association d’insertion a été crée en 1999. C’est cette association qui gère « Vogue la Galère ». Cette création correspond au démarrage de la recherche-action CASEL et au moment où les responsables du lieu s’interrogeaient sur la survie de Vogue la Galère.
Ils affichent une conception, un discours, des représentations et des pratiques différentes des travailleurs sociaux. Pour ces derniers, les personnes accueillies doivent sortir de Vogue la Galère pour être autonome, cette autonomie serait le symbole de la réussite de l’action. La conception du « s’en sortir » est différente pour les responsables de VLG : « pour les travailleurs sociaux c’est avoir un boulot, une femme, une voiture…, pour les résidents c’est être pendant quelques mois un peu moins malheureux et au calme, sans agression ». Les éducateurs de Vogue la Galère mettent à distance le discours des travailleurs sociaux car ils ont observé des échecs liés à cette méthode. Par exemple, ils ont observé que si une personne sort de ce lieu pour aller vivre en appartement elle retourne rapidement à la rue. En effet, la rupture et l’isolement sont trop brutaux pour ces personnes encore fragiles et qui ont besoin d’un accompagnement plus long.
Cette distance avec le travail social classique sur les modalités de fonctionnement les a amenés à réfléchir sur leurs propres pratiques. La rencontre avec d’autres associations qui ont des projets similaires, organisés par l’association VCM, leur a permis d’échanger sur leurs modes de fonctionnement. Dans le prolongement de ces rencontres, ils ont décidé de ne plus fonctionner avec leurs propres lois économiques et d’engager une démarche de réflexion, tout en se disant « il y a des choses pour lesquelles on restera hors la loi, mais pour le reste on va essayer de rentrer dans les clous ». C’est le rapport à la norme qui est ainsi posé et les compromis que les personnes sont prêtes ou pas à accepter pour s’y conformer ou pour s’en éloigner.
Par ailleurs, l’argument financier a pesé dans leur décision d’engager ce travail avec les institutions. Ce Contrat leur permettait aussi d’obtenir une reconnaissance qui leur donnait leur place dans ce champ sur le territoire et leur permettait de demander plus de subventions aux Restos du Cœur en montrant que la démarche du CASEL est utile. Inversement, cette étiquette « Restos du Cœur » leur procure une légitimité et rassure les institutions, car ils connaissent cette association nationale qui présente des garanties et est soumise à des évaluations et des contrôles.
Selon les responsables actuels, lorsque le lieu a été créé, les Restos du Cœur ont insufflé l’esprit « bonne franquette », mais l’augmentation des réglementations a modifié l’organisation de l’association et, selon eux, bride des initiatives qui pourraient s’y développer.
L’association VLG loue le bâtiment et les terrains sur lequel elle se situe[8]. La capacité d’accueil du lieu est de 9 places en accueil d’urgence (pour une durée limitée de deux mois) et 10 places de résidents (suite à un contrat de partenariat signé entre le futur résident et les éducateurs). L’équipe encadrante est composée de deux éducateurs, d’un technicien maraîchage, d’une psychologue (tous les salariés ne travaillent pas à temps plein sur la structure) et d’une quinzaine de bénévoles.
2.3 Représentations croisées
Les lieux à vivre présentés sont donc des structures qui existent avant l’arrivée des résidents, dans le sens où les logiques et objectifs des dirigeants ont été construits sans qu’ils puissent y prendre part, même si les tentations de les associer existent actuellement. De ce fait, la logique intentionnelle des dirigeants ne correspond pas forcément aux représentations qu’en ont les résidents.
Le directeur du Mas de Carles, de part son statut (il est prêtre), applique le schéma de la vie en communauté au lieu à vivre et assimile le rapport entre les hommes vivant là, à des relations monacales, donc à des frères. A VLG, les responsables sont imprégnés de l’histoire du lieu et la référence à Coluche est fréquente, dans ce schéma, la relation entre les hommes est pensée comme solidaire. Dans la réalité, les hommes parlent souvent de CHRS, ils savent qu’il y a des différences dans l’organisation mais la présence d’éducateurs les renvoie à leur condition et au motif de leur présence dans les lieux. Ils savent que le discours officiel fait référence à des rapports de solidarité entre eux, mais ils se considèrent davantage comme des « collègues » d’un temps, le lien entre eux est éphémère et non fiable, l’un d’entre eux l’illustre en disant : « tous ces serrements de main et ces sourires ne servent à rien car il n’y a rien derrière ».
Ces écarts de représentations se retrouvent dans la manière de nommer les lieux. Par exemple, un lieu pour vendre les produits du Mas de Carles a été ouvert sur place. Le directeur appelle ce lieu « espace », en faisant référence à une maison dans laquelle un « espace » serait réservé pour la vente et qui serait aussi un lieu de convivialité, ce lieu est appelé « boutique » par les résidents qui voient là un lieu de vente. Cette divergence sur la nomination des lieux apparaît dans d’autres endroits. Par exemple, le lieu où l’on mange est nommé « salle à manger » pour le directeur, et « réfectoire » ou « cantine » par les résidents. On a donc là deux représentations différentes des lieux qui vont se traduire dans leur utilisation.
Par ailleurs, les lieux à vivre seraient marqués par la personnalité des fondateurs, cet image permettrait aux résidents de s’identifier aux représentations qui lui sont associées. La référence à ce « mythe des origines » permettrait de construire une appartenance collective, c’est notamment sur ce point que se ferait la différence avec les CHRS et les projets institutionnels.
Dans les faits, c’est surtout l’organisation des lieux qui permet aux résidents d’adhérer au projet, et même si c’est le fondateur qui est à l’origine du mode de leur fonctionnement, c’est davantage le rapport au travail et les relations d’entente ou de mésentente entre le dirigeant et le résident, qui sont à l’origine de la présence des hommes dans les lieux. D’ailleurs, lorsque certains d’entre eux parlent des autres lieux, c’est à ces deux éléments qu’ils font référence.
3 L’arrivée des personnes dans les lieux de vie
3.1 La « carrière » des personnes
Nous ne reviendrons pas ici sur ce qui a conduit ces hommes à se retrouver dans ces situations de précarité, de nombreuses études portent sur ces processus. Nous ferons référence essentiellement aux travaux de R. Castel où il décrit le processus de désaffiliation, principalement dans Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat (1995).
Sans rentrer dans le détail, nous allons seulement donner quelques « photographies » de parcours de personnes vivant dans ces lieux pour illustrer ces processus.
Ainsi, D., quarante ans, est présent dans la structure depuis deux ans. Auparavant il a travaillé pendant 18 ans dans une usine en tant qu’ouvrier. Il s’est marié et a eu un enfant. Suite à des désaccords avec sa belle famille, il s’est séparé de sa femme et de son fils. Cet événement l’a marqué et il a commencé à être moins constant dans son travail jusqu’à être licencié. Il s’est retrouvé sans travail, sans famille, sans toit et, dit-il : « j’ai commencé à boire car je ne supportais pas la solitude ». Après une tentative de suicide, il est accompagné par des travailleurs sociaux qui lui proposent de reprendre un appartement, mais il s’opposait à cette solution qui, selon lui, le renvoyait dans la solitude dont il souffrait. Il a fréquenté plusieurs communautés Emmaüs puis est venu au Mas de Carles.
P., est là depuis 6 ans. Depuis que « je suis tout petit je m’occupe des poules et des canards car il y en avait chez mes parents près de Nîmes ». Il a travaillé pendant 18 ans dans une usine et pendant tout ce temps « je vivais au jour le jour, je dépensais tout ce que je gagnais au Casino ou en restaurant ». Après un licenciement, il commence à boire et un cancer de la gorge se déclare. Il perd son logement et se retrouve à la rue.
R., a travaillé pendant une très longue période comme gardien de chèvres, il logeait dans la ferme pour laquelle il travaillait. Quand la ferme s’est arrêtée de fonctionner, il s’est retrouvé sans rien. Il dormait dans un poulailler quand des travailleurs sociaux l’ont trouvé.
Ces hommes[9] ont pour la plupart connu au cours de leur vie rupture professionnelle, rupture familiale ou inversement, isolement social, perte de leur résidence, alcoolisme ou drogues.
Les modalités de leur arrivée dans le lieu
Les personnes interrogées peuvent connaître ces structures de plusieurs manières : soit par les services sociaux avec qui ils sont en contact, soit par le bouche à oreille lorsqu’ils sont dans la rue ou dans d’autres communautés. Ainsi, D. explique : « j’ai fait plusieurs communautés Emmaüs et des gars m’ont parlé du Mas, mais en mal. Mais j’ai voulu voir de mes propres yeux. Là, je trouve que le cadre est vraiment agréable et je m’y sens bien » ; ou bien encore J. qui explique que : « on va dans une communauté en fonction de si on aime bien la personne qui s’en occupe ». Lorsque les personnes connaissent les structures par le bouche à oreille, elles choisissent en fonction de critères propres à chacune : la proximité ou l’éloignement de la ville, la personnalité de la personne qui en est responsable, la rigidité des règles par rapport à leurs dépendances alcoolique ou toxicologique, l’importance de la place du travail. Ces critères ressortent largement lorsqu’un résident parle d’une autre communauté pour en critiquer un des aspect.
Lorsque les hommes arrivent au mas ou à VLG, pendant deux mois dans la première structure et quinze jours dans la seconde, ils ont la possibilité d’y vivre d’abord un temps d’adaptation, de « se poser » sans que rien ne leur soit demandé. En effet, dans la majorité des cas, les hommes qui arrivent dans les lieux de vie sont dans un état physique, psychique et social assez dégradé, c’est à dire qu’ils sont souvent très alcoolisés, drogués, sont malades, ont perdu leurs papiers… L’état de ces personnes fait souvent dire aux responsables des deux structures à propos d’un homme qui arrive : « si dans deux mois il est toujours vivant, on verra ce qu’on peut faire ». J. explique que « quand je suis arrivé ici je ne tenais plus debout, je n’arrivais même plus à marcher ! C’est le Mas qui m’a sauvé. Quand le docteur m’a revu plus tard, il ne m’a pas reconnu, il s’est même étonné que je travaille au Mas ! ». Pendant cette période, ils vont se reposer, se soigner, ils sont appelés par les résidents « ceux qui sont en urgence ».
Passée cette période, ils vont avoir la possibilité de rester, d’affirmer et de formaliser leur statut dans ces lieux en devenant « résidents ». Ils vont déterminer des objectifs et des engagements qu’ils auront avec la structure. Toutefois, si cette contractualisation et leur passage au statut de résident est expliquée par les responsables, les hommes concernés n’évoquent pas ce passage, sauf pour faire la distinction entre eux et les « urgences ». Pour eux, et nous y reviendrons, le changement de statut établit cette distinction ; il s’effectue avec le temps mais ce passage n’est toutefois pas référé explicitement par les intéressés à un titre mais bien plutôt aux avantages acquis.
Les premiers bénéfices à leur arrivée
Rétrospectivement, les résidents rencontrés évoquent deux sortes de bénéfices, que l’on pourrait qualifier de directs, qu’ils ont trouvés en arrivant dans les lieux à vivre.
C’est d’abord la sécurité concrète de pouvoir dormir tranquille, sans crainte d’être agressé et le sentiment plus général de sécurité. A VLG, M. explique par exemple « ce que ça change pour moi d’être ici c’est la sécurité, le fait d’avoir un toit, un chez moi. Je n’ai pas connu la rue, à part en S. où je dormais sur la plage, mais c’était tranquille alors qu’ici, en France, dans la rue c’est dangereux ». R. aussi se sent plus en sécurité « ce que j’apprécie ici c’est que c’est calme. Dans la rue, il faut tout le temps être violent, faire attention car on se fait agresser, et en plus, les discussions ne sont pas intéressantes. » Un autre encore, MD « on pense plus la même chose des gens, on a moins d’a priori, on tend plus facilement la main à quelqu’un, tandis que quand tu es dans la rue, tu es constamment sur la défensive, on va pas dire bonjour comme ça, d’autant plus quand on est rempli de boisson. Là, ça apprend à se « relationner » avec les gens ». Comme l’explique celui-ci, avoir la sécurité permet d’être moins sur la défensive par rapport aux autres personnes et de rentrer en relation avec eux. L’emploi du terme « relationner » montre bien cette possibilité offerte de reprendre contact, autrement que sur le mode conflictuel.
Le second bénéfice évoqué dans les deux espaces communautaires, et largement repris par tous, est l’inquiétude face à l’avenir qui est amoindrie. En effet, les activités proposées, les rythmes imposés et la rencontre avec les autres donnent la possibilité de ne pas se poser de questions pendant quelques temps. C’est la possibilité momentanée de ne pas penser au lendemain, de ne pas se demander où l’on va manger, où l’on va dormir, ce que l’on va faire de sa vie. C’est s’occuper les mains pour éviter de penser : « ça tournait en rond dans ma tête, ici ça me permet de pas penser, de m’occuper » (M., VLG)
Même les « urgences » qui ne sont pourtant pas soumis aux mêmes règles et n’ont pas l’obligation de travailler évoquent cette tranquillité d’esprit. Ils demandent d’ailleurs rapidement, s’ils en sont capables physiquement, ce qu’ils peuvent faire pour aider. A VLG par exemple, deux hommes ont demandé, dès le lendemain de leur arrivée, ce qu’ils pouvaient faire pour aider, participer.
3.2 Qui sont ces personnes ?
Qui sont les personnes présentes au Mas de Carles et à Vogue la Galère ?
« Caractéristiques des personnes hébergés » au Mas de Carles, accueillies en 2005 et 2004
| 2005 | 2004 | |||
Sexe et âge | Nombre | % | Nombre | % | |
Hommes |
| 144 |
| 137 |
|
| 20 – 35 ans | 26 | 16.56 | 29 | 19.33 |
| 35 – 50 ans | 69 | 43.95 | 63 | 42 |
| 50 ans et plus | 49 | 31.21 | 45 | 20 |
Femmes |
| 6 | 3.82 | 6 | 4 |
Sous total |
| 150 | 95.54 | 143 | 95.33 |
Enfants |
| 7 |
| 7 |
|
| – de 15 ans | 5 | 3.18 | 5 | 3.33 |
| 15 – 20 ans | 2 | 1.27 | 2 | 1.33 |
| |||||
Origine géographique |
|
|
|
| |
Vaucluse | 43 | 27.35 | 45 | 30 | |
Gard | 50 | 31.85 | 53 | 35.33 | |
Autre dép. | 43 | 27.39 | 32 | 21.33 | |
CEE | 9 | 5.73 | 9 | 6 | |
Autre pays | 12 | 7.64 | 11 | 7.33 | |
| |||||
Selon situation familiale |
|
|
|
| |
Célibataire sans enfants | 115 | 73.25 | 115 | 76.67 | |
Célibataire avec enfant(s) | 23 | 14.65 | 21 | 14 | |
Couple avec enfants | 4 | 2.55 | 4 | 2.67 | |
Couple sans enfant | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Seul avec famille à l’étranger | 15 | 9.55 | 10 | 6.67 | |
Total | 157 | 100 | 150 | 100 |
Source : Association Mas de Carles, Bilan d’Activités 2005, p. 17
On voit ici qu’il s’agit principalement d’hommes de plus de 35 ans, qui sont célibataires et qui viennent de départements limitrophes. Ces hommes (il faut souligner la part importante de plus de 50 ans) correspondent à une catégorie de personnes dont l’espérance de réinsertion, au sens du travail social classique, est faible. Il serait intéressant de croiser ces données avec l’analyse des parcours des hommes qui sont sortis de ces structures pour confirmer cette analyse.
Nous n’avons pas, à ce jour, le tableau correspondant pour Vogue la Galère. Lors de la période de présence, le rapport entre personnes en urgence et résidents était inversé (c’est-à-dire qu’il y avait plus de personnes en urgence que de résidents), ce qui n’était pas sans conséquence sur l’organisation de la vie quotidienne, notamment par rapport au travail.
Le rapport aux femmes
La présence des femmes est souvent discutée dans les structures. A la fois pour évoquer le manque de place dans les centres d’hébergements pour des femmes qui vivent dans la rue, mais aussi pour évoquer la relation parfois tendue entre les hommes et les femmes dans ces structures. Dans ces deux lieux à vivre, les femmes ne sont pas absentes mais très minoritaires (1 au Mas de Carles, en dehors des familles, et deux à VLG).
Dans les deux structures, les femmes jouent le rôle conféré socialement à la femme. Dans la première, une femme maternait un jeune homme qui s’adressait lui-même à elle plutôt qu’à toute autre personne. C’est elle aussi qui lui a apporté des soins (malgré l’aspect répugnant qui éloignait tous les autres), qui lui donnait des conseils de toilette. Cette même femme était qualifiée de très bonne cuisinière par les hommes alors que les encadrants ne lui donnaient pas ce qualificatif, c’est la fonction nourricière qui était alors mise en avant par les résidents.
De la même manière, à Berdine, une des femme s’occupait de la chèvrerie et de fabriquer les fromages. Dans l’autre structure la femme présente dans les lieux de vie s’occupait de la laverie, tâche traditionnellement dévolue aux femmes. Pendant son absence, l’homme qui la remplace à cette tâche se plaignait de la quantité de travail qu’il y avait dans cette fonction. Un autre homme présent le taquinât en lui disant que c’était la planque, qu’il n’y avait rien à faire, alors le premier lui répondit : « viens faire un stage avec moi, tu verras. Quand c’était elle qui s’en occupait, on disait qu’elle avait trop de travail, et depuis que c’est moi, on dit que c’est la planque ! ». Elle prenait aussi le temps d’écouter les hommes, de leur donner des conseils, de les accompagner dans leur démarches.
Ce tableau montre les personnes accueillies quotidiennement sur une année, cela donne environ 47 personnes par jour qui séjournent au Mas de Carles. Ce tableau regroupe les résidents et les « urgences », il ne permet donc pas de faire la distinction entre les deux catégories de personnes.
Selon durée d’accueil | 2005 | 2004 | ||
| Nombre | % | Nombre | % |
Moins de 1 mois | 89 | 56.69 | 75 | 50.00 |
1 à 3 mois | 5 | 3.18 | 5 | 3.33 |
4 à 6 mois | 3 | 1.91 | 3 | 2.00 |
6 à 9 mois | 7 | 4.46 | 7 | 4.67 |
9 à 12 mois | 8 | 5.10 | 10 | 6.67 |
Plus de 1 an | 8 | 5.10 | 6 | 4.00 |
Plus de 2 ans | 12 | 7.64 | 19 | 12.67 |
Plus de 3 ans | 25 | 15.92 | 25 | 16.67 |
Total | 157 |
| 150 |
|
Source : Association Mas de Carles, Bilan d’Activités 2005, p. 19
Les plus anciens sont là depuis dix ans. Si l’on croise ce tableau avec leur âge, on retrouve la classification que propose Bergier en trois catégories : les 18-29 ans, les 30-44 ans, et les 45 et plus :
– la première catégorie a une espérance objective d’insertion. De ce fait, ces personnes vont adopter des attitudes de résistances par rapport à l’inculcation des habitudes de vie dans la communauté et d’opposition à l’identité du groupe (1992, p. 48).
– la seconde catégorie est dans une phase d’acceptation, il parle de « seuil d’acceptation d’un suicide social » dans « le sens où s’éloigne l’espérance subjective d’une réinsertion qui apparaît comme un avenir de plus en plus improbable » (1992, p. 53). Ces personnes développent une présence routinière, l’appartenance à une sous-culture revendiquée (nous reviendrons plus loin sur ce point), à une quête de sécurité.
– la dernière catégorie, les plus de 45 ans, sont selon lui, dans une phase de vieillissement précoce, ils se placent dans un mouvement croissant de désengagement par rapport au monde extérieur. Certains font référence à la retraite qui les autorise à mettre un terme à leur séjour.
3.3 La formalisation de leur installation dans le lieu à vivre
Les responsables des structures proposent aux personnes de devenir résident suite à la période d’urgence lors de laquelle ils ont pu se reposer. La durée de cette période varie en fonction de ce qui a été établi au départ, nous avons vu qu’il s’agit de deux mois pour le Mas de Carles et de quinze jours pour Vogue la Galère, mais les durées peuvent être reconduites une fois et, en fonction de la complexité des situations, les tolérances sont de mises. Par ailleurs, une personne peut venir une première fois, faire le choix de partir, puis après un second, voire un troisième séjour, décider de rester. Les « urgences » font alors ce choix de partir ou de rester. Suite à un entretien, s’ils décident de rester, ils deviennent des « résidents ». Ils peuvent alors signer un contrat de partenariat qui notifie les engagements de chaque partie. Ce contrat est signé au Mas de Carles, mais il n’est pas utilisé à VLG. Si celui-ci a une valeur pour les responsables, qui en parlent comme d’une étape rituelle importante, il n’a jamais été mentionné par les résidents rencontrés et l’on peut s’interroger sur le sens qu’ils y mettent.
Dans le contrat, les engagements demandés aux résidents sont, à Vogue la Galère :
- « Respect des personnes, des biens, de l’environnement,
- Adhésion aux règles de vie,
- Participation financière à l’hébergement (gîte, couvert,…) par ceux qui ont un revenu,
- Engagement des démarches afin de bénéficier d’un revenu pour ceux qui en sont privés (au delà de quatre mois, le fond de solidarité deviendra une avance remboursable) »
Parallèlement à ces engagements, le résident doit respecter des modes de fonctionnement et des règles :
- « Obligation de présence : aux réunions, à l’accueil des nouveaux, aux festivités (anniversaires, fêtes…), à tous les repas et aux commissions,
- Commission : passage en commission régulière pour évaluation du projet personnel,
- Durée : la durée du contrat sera déterminée en commission avec le résident,
- Alcool : responsabilité individuelle et collective. Le résident en état d’ébriété ne doit pas perturber la vie collective. Produits illicites interdits formellement,
- Vacances : chacun aura droit à des vacances, il devra en faire la demande et les dates devront s’intégrer dans l’organisation de la ferme. Les vacances prises sur place obligeront à participer à la vie collective,
- Sorties : le minibus des Restos pourra être utilisé et les personnes peuvent participer financièrement à la sortie (à négocier),
- Véhicules « Vogue la Galère » : l’utilisation des véhicules sera sous la responsabilité d’un encadrant, et la vitesse de 20km/h sera respectée dans la louve. Chaque utilisateur devra avoir son permis de conduire en règle dont une photocopie sera faite,
- Visites de l’extérieur : en accord avec les résidents et l’éducateur,
- Animaux de compagnie : à négocier avec l’équipe éducative,
- Bureaux : les bureaux des Restos sont interdits. Il faut laisser les gens travailler ».
Au Mas de Carles, les documents parlent plutôt de « règlement intérieur », mais les éléments évoqués font référence à des engagements similaires de la part des résidents. Les principaux points abordés[10] sont :
- La présence quotidienne aux ateliers est obligatoire (de 8h30 à 12h – de 14h à 17h),
- Les sorties sont autorisées après 17h en semaine et après 12h le samedi. La présence aux repas du midi et du soir est obligatoire,
- Drogues, alcools, violences, vols sont formellement interdits,
- Participation aux frais d’hébergement : 92 € par mois (3,07 € par jour),
- L’association offre pour les personnes qui n’ont aucun revenu : affaires de toilette, tabacs, frais de régularisation administrative, etc.,
- L’utilisation des véhicules personnels est réservée aux déplacements professionnels en semaine et à ceux du week-end,
- La présence obligatoire à la réunion du vendredi qui fait le point sur la semaine écoulée et programme la semaine à venir,
- Un certain nombre de points visent à apprendre à « respect l’autre et à se respecter » : « chiens, chats et animaux de compagnie sont interdits dans les chambres ; pas de repas (sauf maladie) dans les chambres ; pas de télévision, ni d’ordinateur dans les chambres ; pas de bruit après 22 h 30 : chacun est dans sa chambre ; chacun veillera à la propreté de son corps, de sa chambre et de ses effets personnels ; musique et radio doivent être écoutés “raisonnablement” ; par mesure de sécurité, on évitera de recevoir dans sa chambre. Toute personne étrangère au foyer devra avoir quitté les lieux à 20h30, dernier délai. »
- Les horaires,
- La possibilité donnée aux responsables de visiter les chambres.
Il existe des points communs entre les deux règlements et ce qu’ils organisent : l’obligation de présence lors des temps collectifs (réunions, repas) et limitation des temps individuels (pas de repas, ni de télévision[11]dans les chambres), le rapport à l’extérieur (réglementation sur les temps de sorties, sur les visites), les modalités de participation financière, l’interdiction des produits illicites.
Deux points divergents entre les deux textes, il y a d’abord le rapport à l’alcool qui est toléré dans l’un, formellement interdit dans l’autre (dans la réalité, l’alcool est toléré). Ensuite la référence au travail est différente. A VLG, il n’est pas fait mention de l’obligation de travailler, sauf pour indiquer que les personnes qui restent le dimanche doivent « participer à la vie collective ». Au Mas de Carles, il est clairement spécifié, dès le premier article, que la « présence aux ateliers est obligatoire ». Nous retrouverons cette différence de conception du rapport au travail dans le discours des résidents.
Il est aussi intéressant de remarquer que les règles exposées ici sont calquées sur celles qui ordonnent la société globale de manière implicite, or ici, elles sont décrites dans le détail. Les normes implicites, incorporées par tout un chacun au fil de sa longue expérience de socialisation, deviennent ici des règles de vie nécessairement explicitées. Mais ce rappel des règles de base du vivre ensemble n’est pas sans contradictions et Bergier souligne à ce propos qu’« en général, la manière dont la structure d’accueil protège l’errant revient à lui refuser pour des raisons institutionnelles légitimes, les moyens d’accomplir les comportements routiniers de la vie quotidienne d’un adulte : sorties, loisirs, gestion du travail domestique, achat de l’alimentation et des boissons… L’usager peut alors être amené à mettre en œuvre des pratiques routinières devenues illégitimes, voire illégales : sorties clandestines, vol, alcoolisme… » (1992, p. 23) En effet, l’impossibilité pour les résidents de maîtriser leur rythme de vie est critiqué par les intéressés, même si, par ailleurs, ils affirment que ces contraintes sont structurantes. Par conséquent, les résidents vont développer des stratégies pour profiter des zones d’incertitudes – pour reprendre une notion issue de la sociologie des organisations – et se constituer des îlots d’autonomie qui vont échapper au pouvoir de contrôle de la structure : prêts d’argent entre eux, services rendus concernant l’achat d’alcool ou de cigarettes, prêts d’objets de loisirs, résistance passive au travail.
Pour les résidents, comme nous l’avons déjà mentionné, le règlement intérieur ou la contractualisation qui formalise ce passage n’est jamais évoqué. Le passage à ce statut s’évalue plus par rapport à des éléments de la vie quotidienne et à l’acquisition de certains avantages.
Il va s’établir une séparation entre eux et les « urgences » qui va se matérialiser de plusieurs manières. Ils ont tout d’abord une connaissance de la structure, des lieux et des personnes que les urgences n’ont pas. De fait, ils vont avoir des rapports privilégiés avec les bénévoles et les salariés qui vont créer une supériorité par rapport aux « urgences ». Cette distinction hiérarchique vaut aussi entre les résidents et tous ceux qui sont en stage ou en contrats aidés. Ensuite, ils ne vont pas répondre aux mêmes obligations de travail, mais aussi, de fait, de responsabilité, avec les avantages que cela comporte[12]. Enfin, matériellement, devenir résident signifie avoir une chambre déterminée, dans un espace réservé aux résidents. Cela signifie aussi que l’on prend certaines habitudes qui se traduisent, par exemple, par des placements fixes à table. A VLG par exemple, cette distinction est très visible, les « urgences » se situent d’un côté de la table, les « résidents » de l’autre. Sans tenir compte des affinités existantes entre les sous-groupes, cette distinction est première et agissante. Au Mas de Carles cette distinction est un peu moins visible car les tables sont disposées de manière parallèle, mais tandis que les résidents vont plutôt se regrouper en fonction des ateliers, les urgences se placeront plutôt en bout de table, la quantité d’échanges verbaux est aussi bien moindre.
En mettant de la distance avec les « urgences », ce passage en tant que résident leur permet de s’éloigner de ce que représente les premiers : la rue et tous les stigmates négatifs qui lui sont associés et marque de manière concrète la capacité retrouvée d’avoir une certaine emprise sur leur environnement. Ce qui n’empêche pas une solidarité avec ceux qui sont encore dans la rue, un homme de VLG disait par exemple que l’un d’entre eux ne respectait pas les règles et qu’il pouvait partir, car si ça ne lui convenait pas, « il y a d’autres copains dehors qui seraient content d’être là ». D’autres éléments participent de cette mise à distance, par exemple la critique de l’alcoolisme des autres, car il est bien entendu que personne ne boit, sauf les autres, ou bien certains dénoncent le fait qu’il y a trop de laisser-aller et que les hommes vont et viennent à leur guise, sortant de la structure sans prévenir le responsable.
Ces mises à distance construisent un système qui va désigner un groupe donné (les urgences notamment) pour pouvoir s’en démarquer. Althabe explique ce processus dans un HLM : « la pratique des uns et des autres dans la cellule familiale est confrontée à une structure normative, les signes de non correspondances qui peuvent être relevées émaillent les accusations et les plaidoiries » (1993, p. 18), ces pratiques vont permettre de construire ce qu’il appelle « un acteur idéologique » qui va être fixé à un pôle négatif et donc de se positionner soi-même comme étant éloigné de ce pôle.
Devenir résident signifie aussi avoir une place, un rôle, un pouvoir retrouvé. Parmi les personnes interrogées, toutes m’ont expliqué : « quand je suis arrivé, j’ai choisi de travailler là », dans tel ou tel secteur. Elles ont donné les raisons de ce choix qui est en lien avec leur expérience passée, professionnelle ou familiale, et qui leur permet de dire, réaffirmant ainsi leurs compétences : « je sais faire ça, donc je choisis cette activité ».
On observe donc l’établissement de règles sociales pour ordonner la vie collective et pour « redonner » des repères aux hommes qui arrivent, repères qui doivent permettre de se caler sur un rythme de vie qui correspond aux normes sociales en vigueur. Mais pour les résidents, au-delà de cette ritualisation du quotidien, nous y reviendrons, ces règles leurs permettent de prendre leur place d’abord par rapport au milieu qu’ils ont quitté et qu’ils continuent pourtant à côtoyer. Ils se trouvent donc maintenant dans une communauté où ils partagent leur quotidien avec d’autres hommes. Certains d’entre eux parlent de « foyer » en justifiant ce terme par la présence d’éducateurs. Pour eux, le terme « lieu à vivre » n’a pas de signification, c’est « un truc des chefs », car « tous les lieux sont à vivre ».
4 Le lieu à vivre : ritualisation et représentation sur les éléments de leur vie quotidienne
Comme le souligne C. Petonnet (1979, p. 244), l’orientation de l’homme dans le temps et l’espace apparaît historiquement et génétiquement comme une condition première et essentielle du comportement humain. Ici, l’imposition d’un rythme de vie se concrétise en pratiques, en rapport au temps et à l’espace particulier, qui va se traduire en rites et constructions symboliques. Nous allons voir comment ces éléments permettent aux hommes de prendre possession de leur vie quotidienne.
4.1 L’organisation de l’espace et son appropriation
L’organisation spatiale permet de rendre compte de la représentation que les personnes ont de ce lieu. Il y a l’espace physique, réel et le rapport que les utilisateurs entretiennent entre eux et l’espace vécu. Pour Augé, un lieu est « identitaire, relationnel et historique », c’est à dire qu’il est trois fois symbolique : par rapport à lui-même, par rapport aux autres et par rapport à leur histoire commune. Un lieu est donc chargé de sens, mais ce sens peut être différent selon les personnes qui y vivent.
C’est ce que nous allons essayer de montrer ici pour les deux communautés en expliquant comment certains espaces voulus ritualisés par les représentants ne sont en fait pas utilisés comme tel par les résidents et comment d’autres lieux a priori moins chargés symboliquement, structurent en fait fortement les rapports sociaux.
L’association du Mas de Carles s’étend sur une propriété de 26 hectares. Toute la superficie n’est pas utilisée, la surface comprend un espace pour les habitations et lieux collectifs, un espace pour l’agriculture et un pour les animaux. Le plan ci-dessous nous donnera une vision d’ensemble des lieux.
Dans l’organisation du lieu, une série d’opposition structure l’espace et organise les liens avec le lieu à vivre selon la plus ou moins grande appartenance à la structure. Plus les personnes sont éloignées géographiquement du centre de la communauté, plus elles le sont aussi du projet. Cette répartition crée une véritable hiérarchie entre ceux qui font partie de la communauté, ceux qui sont de passage (un passage plus ou moins long), et ceux qui sont sur les lieux sans adhérer à la communauté, sans s’investir dans les lieux (les personnes habitants dans les caravanes, qui sont souvent des familles de gens du voyage. Certains sont présents sur le terrain depuis longtemps et ont entrepris des démarches pour se stabiliser, sans rentrer dans le processus du lieu à vivre).
La première distinction à faire est donc celle entre le haut (la partie à gauche du chemin sur le plan), celle par laquelle le visiteur arrive, qui est plutôt destinée aux caravanes et celle du bas. Le chemin qui permet d’arriver au Mas de Carles sépare les deux parties et la disposition du bâtiment principal, tourné vers le bas, clôt l’espace lieux à vivre par rapport à l’extérieur. La dénomination entre le « haut » et le « bas » se justifie par la configuration physique du lieu qui se situe sur une colline. Les liens entre les deux parties qui sont en fait les gens du voyage et les résidents ne sont pas fréquents, notamment en raison d’une distinction des raisons qui les ont conduits ici et de leurs projets.
Ensuite, il y a une distinction géographique entre les personnes en urgence et les résidents, les premiers ont leur chambre dans le bâtiment central, mais orientée vers le haut, les seconds sont pour la plupart dans le bâtiment central, mais sur la partie basse et intérieure du bâtiment. Ceux-là ont directement accès aux espaces collectifs, à la salle télévision. Les plus anciens, ont des chambres individuelles (dont deux dans des maisonnettes) avec souvent la télévision. Ceux qui vivent dans les chambres individuelles sont présents depuis longtemps, ils font une différence entre ce qu’ils appellent le lieu à vivre et les résidents, pour eux, ils appartiennent au lieu à vivre et font partie du projet, tandis que les autres feraient partie d’une résidence sans avoir accès au cœur des décisions concernant le projet du lieu de vie. Les personnes concernées interrogées considèrent ce fait comme un privilège qu’ils associent à l’âge, un résident disait à ce propos « c’est bien d’être vieux, ça permet d’avoir des privilèges ».
D’autres espaces structurent les rapports sociaux mais pas ceux auxquels on s’attendrait. Les salles pour les repas (deux salles, en fonction de la saison) par exemple sont des lieux où l’ensemble des personnes vivant dans la communauté se retrouvent pour manger, mais aussi pour faire des réunions. Mais, on s’aperçoit rapidement que même si les hommes s’assoient généralement à la même place et par groupe d’affinité (qui correspond la plupart du temps au groupe de travail), ils ne restent que très peu de temps après le repas et préfèrent aller dans leur chambre ou se retrouver par petits groupes dans d’autres espaces pour discuter ou se reposer. Les salles à manger ne sont pas utilisées comme un espace de convivialité, mais comme un espace destiné à une fin définie, celle de se nourrir.
Par contre, la terrasse devant la salle télévision et la cour centrale, qui au départ est un lieu de passage reliant l’entrée et les champs est un espace dans lequel les hommes s’assoient, discutent, jouent à la pétanque, aux cartes… C’est aussi là que se situe le bureau des éducateurs, des infirmières et de l’assistante sociale, ce qui fait que, l’équipe qui travaille au centre des bâtiments se trouve être au centre des résidents. Dans leurs discours, les résidents intègrent le fait que l’équipe est avec eux, contrairement à VLG comme nous le verrons plus loin. Les hommes attendent que les bureaux ouvrent dans cet espace pour tous les besoins de leur vie quotidienne : que ce soit pour prendre des médicaments, pour un rendez-vous avec un éducateur ou une assistante sociale, pour téléphoner… Tout le monde peut donc voir qui va dans ce bureau et la régularité des visites.
Les bureaux administratifs, qui se situent sur le même niveau que la chambre du président, sont un peu à l’écart. Les résidents y vont seulement s’ils veulent rencontrer le directeur ou le président.
Les autres espaces sont destinés aux divers travaux : buanderie, champs, salle d’entrepôt du matériel. Chaque personne s’approprie le lieu en fonction de l’activité qu’il y effectue.
L’association Vogue la Galère, comme nous l’avons déjà dit, loue les lieux sur lesquels elle se situe. Pendant la période d’observation, les responsables de l’association ne savaient pas s’ils pouvaient rester sur ce terrain, ils n’ont su qu’à la fin de mon séjour qu’ils pourraient y rester. Cette incertitude, que vivaient aussi les résidents rendait difficile l’appropriation des lieux. Néanmoins, ici aussi, on constate que des oppositions structurent les rapports sociaux. Il s’agit de l’opposition entre « le haut » et « le bas ».
Le bâtiment de l’association VLG se situe en haut d’un terrain qui donne sur une route qui accède à Aubagne. Situation qui facilite voire incite à une certaine forme de contrôle social ; en effet on peut voir de là-haut tous les déplacements de chacun, notamment ceux qui vont en ville et comment ils reviennent (avec des sacs de provision, de l’alcool…). Le bâtiment est donc ouvert vers l’extérieur, contrairement au Mas de Carles qui est plutôt refermé sur lui-même. L’opposition s’exerce surtout sur l’organisation spatiale du bâtiment.
Dans la partie haute, se situent les bureaux des salariés et la salle de réunion qui symbolise le travail intellectuel. La salle des repas et la cuisine sont référés aux temps de vie collective, les chambres des résidents matérialisent la stabilité dans la vie quotidienne qui faisait tant défaut quelques temps auparavant.
Dans la partie basse, se situent le jardin et l’entrepôt. Ces espaces sont réservés aux travaux manuels et sont plutôt utilisés de manière individuelle (la charge de travail et sa répartition sur les moyens humains ne permettant pas de travailler à plusieurs sur une activité, tout au plus parfois à deux personnes). Les chambres des personnes en urgence restent liées à une certaine instabilité car les hommes qui y dorment changent fréquemment. En conséquence, il est quasiment impossible de se les approprier et elles restent très impersonnelles.
Dans les discours ces oppositions se retrouvent fréquemment, les hommes disent par exemple : « Moi c’est en bas, en haut c’est pas ma place ». Les salariés sont mis à part, car ils sont « dans les bureaux ». Même le salarié qui est le plus présent en bas, est apparenté à l’autorité, lors de son départ un soir, un résident me dit : « ça y est, Alcatraz[13] est parti, on est libre ». Cette opposition crée une hiérarchisation spatiale qui s’étend aux rapports entre les résidents et les salariés. Ce rapport est beaucoup moins présent au Mas de Carles où les salariés sont considérés davantage comme des éducateurs que comme des supérieurs.
Le rapport à l’espace et la manière dont il est organisé est fondamental dans la structuration des rapports sociaux entre les personnes qui vivent dans ces lieux, et la fonction sociale attribuée par les dirigeants à certains espaces est parfois bien différente de celle attribuée ou vécue par ceux qui y vivent.
4.2 La structuration du temps des résidents
Nous allons avoir ici une lecture particulière de chaque moment de la vie quotidienne dans ces lieux, car elle va permettre progressivement de mieux comprendre les effets qu’ils ont ensemble sur la restauration personnelle des personnes en décrivant tout d’abord l’organisation de leur temps qui est découpé en cycles et les rythmes de vie en liens avec les codes sociaux.
L’organisation du temps
Description
Dans les deux lieux à vivre, l’organisation des journées est imposée par la structure et, en dehors de quelques aménagements (décalage d’un horaire à la demande des résidents), il n’est pas possible, ni autorisé de s’y soustraire comme nous l’avons déjà souligné plus haut.
Ce sont les repas et les pauses café qui rythment la journée, ceux-ci sont à heures précises, et même rappelés au moyen d’une cloche au Mas de Carles. Certaines personnes arrivent parfois en retard aux repas, mais globalement, la fluctuation horaire est réduite. Cette rigueur n’est pas valable pour les autres temps organisés par les deux lieux à vivre.
Les périodes de la journée prévues pour le travail sont nettement plus fluctuantes. Il m’est arrivé par exemple au Mas de Carles, de me rendre dans la serre pour y travailler en compagnie des résidents et d’attendre près d’une heure pour que l’activité démarre. En effet, majoritairement après le repas du midi, on observe un flottement. Lorsque les repas sont pris, les résidents ne s’attardent pas à table et vont rejoindre leur chambre ou d’autres lieux, les salles de repas ne sont pas, dans les deux lieux observés, des espaces de convivialité, mais des temps nécessaires où s’échange la plupart du temps des informations sur le travail effectué. La convivialité s’exerce ailleurs, dans les non-lieux, tels que décrits par Augé, dans les lieux où ne s’exerce pas l’autorité de la structure.
Les cycles de vie dans les lieux à vivre
Les cycles de vie dans les lieux à vivre sont organisés en fonction d’une date d’arrivée et d’une date de départ, ainsi, le temps est cadré, ce qui leur permet de mieux le maîtriser et de s’y projeter. Les deux extrémités de ce temps sont valorisées par les hommes. La date d’arrivée constitue un élément important pour les résidents, dans les deux lieux, ils ont été nombreux à donner la date exacte de leur arrivée, au jour près. Ils évoquent souvent les conditions de leur arrivée et leur état pour permettre la comparaison entre l’avant et l’après qui s’articule autour de cette date.
L’autre extrémité de ce temps ainsi cadré est la retraite. Dans l’organisation de leur vie, les résidents se fixent souvent des échéances, celle qui revient le plus souvent est celle de la retraite. Les projets, les rêves qu’ils font sont prévus pour l’après. Lorsqu’ils seront à la retraite, ils prendront un logement, partiront en vacances… Mais dans la réalité, la plupart restent dans la structure. Concrètement la retraite signifie pour eux avoir un revenu socialement reconnu et accepté. De là, ils pensent qu’ils vont prendre un appartement ou une maison (choix qu’ils ont toujours fuit ou qu’ils n’ont pas réussi à tenir : à cause de l’absence de repère, de la solitude…). Un des hommes qui est passé au Mas de Carles a pris un appartement dans la ville voisine et revient régulièrement (deux ou trois fois par semaine) au Mas pour partager un repas. Un autre homme qui vit actuellement dans cette structure expliquait qu’il allait s’acheter quelque chose et qu’il cherchait un terrain.
En plaisantant, il demande au responsable : « tu voudrais pas me vendre un coin du terrain ? ». Il exprimait ainsi son désir de rester à proximité de la structure, mais aussi d’accéder à la propriété, ou au moins à l’autonomie. Ce rapport à la retraite montre que s’ils ont vécu à distance des normes sociales, elles sont toujours présentes et agissantes sur leurs choix.
Ils ne sont plus hors normes mais dans celles-ci et n’aspirent qu’à une chose, s’y conférer. Par exemple, M. disait : « j’aimerais me marier, avoir un travail, une famille comme tout un chacun, malgré que j’aime bien la vie ici, mais c’est autre chose, c’est une vie en communauté, on peut pas faire exactement ce qu’on veut, par exemple si on connaît une fille, on peut pas l’amener ici ».
Par ailleurs, les liens que ces hommes ont tissés à l’intérieur de la structure sont des liens qui leur ont permis de se construire et ils souhaitent donc en rester proches (c’est sans doute aussi la peur confuse de « retomber » et le besoin de sentir les éducateurs et les personnels de la structure proches, en relation d’aide potentielle). Car comment reconstruire des relations sociales hors de la structure après avoir connu des années d’errance, des années dans des communautés et se retrouver à 60 ans dans une ville où l’on ne connaît personne, souvent sans famille… ?
La mort, même s’ils n’en parlent pas, est aussi présente dans ces lieux, c’est l’achèvement du cycle de vie. Le fait de savoir, comme c’est le cas au mas de Carles, qu’ils peuvent être enterrés sur place s’ils n’ont pas de famille peut être rassurant. Il leur permet en tout cas, d’entrevoir une possibilité pour la fin de leur vie, autre que la solitude face à la mort.
Le retour à des cycles de vie « normaux » a un impact structurant et l’appui sur des moments ritualisés qui visent à réinscrire les anciens SDF dans un cadre leur permet de se prouver qu’ils sont encore en capacité de prendre leur place dans la société et qu’ils sont déjà en rupture avec la rue.
Le changement de chambre
Dans ces cycles, au-delà des travaux qui rythment leur quotidien, leur vie est marquée par des événements ou des passages. Le passage qui est vécu comme le plus important est celui du changement de chambre, il y a ainsi une graduation de l’appartenance à la communauté selon l’endroit où les chambres sont situées, comme on l’a expliqué plus haut. Ceux qui sont dans les chambres individuelles ont acquis des privilèges qui sont associés ou, en tout cas, des marques, des signes qui les distinguent. Ils ont donc la télévision, ils ont des « ronds de serviettes » dans une boîte pour la table avec celui du directeur, ils font partie du « conseil des résidents » et leur avis est sollicité.
Plus qu’un simple changement de lieu d’habitation, le passage d’une chambre à l’autre institue de vraies différences entre les hommes et suscite la convoitise des autres. Paradoxalement, un des objectifs de la structure est d’accompagner les hommes vers une autonomie à l’extérieur, mais ce système les amène à trouver de l’autonomie à l’intérieur et de la rechercher ici, dans les cadres qui sont ainsi posés. En effet, plus les hommes vont vers l’intérieur de la structure géographiquement, plus ils s’y situent socialement et se construisent une place, une stabilité, une position sociale. Le changement de chambre peut être vu comme un moment lourd de symboles ; comme le moment où en quittant l’urgence on accède à un statut qui les éloignent de la rue et de l’exclusion pour leur faire prendre rang dans un processus de réinsertion sociale (au sens propre).
Les rythmes de vie et les codes sociaux
L’importance d’avoir un rythme de vie « comme dans la société »
Le temps vécu dans les structures est vu comme étant le même que celui de la société ordinaire, ou au moins, faisant tout pour s’en rapprocher. Les contraintes horaires sont un élément essentiel dans une réinscription dans la vie ordinaire. Un résident expliquait justement : « c’est une manière de se remettre dans ce qui fait la vie. C’est la vie de tous les jours, de tout un chacun. La vie ici est très proche de la vie normale, en dehors de la vie en collectivité, il y a du travail, les repas, il y a le lever obligatoire, le déjeuner ». Un autre disait : « on a une journée complète du lever, petit déjeuner, boulot. C’est un roulement de tous les jours, si on était en ville, on aurait le même rythme. Toute la vie en un seul endroit, toute la vie est rythmée ». Un autre encore : « c’est le cycle journalier qui est bon ».
Plusieurs éléments ressortent de ces entretiens. Il y a d’abord une profonde aspiration à la normalité qui se traduit par la volonté de ne pas se démarquer, de se fondre dans la masse. Avoir des repères temporels « comme tout le monde » permet de s’identifier, de se reconnaître comme faisant partie de la société. Ensuite, ces repères s’affirment dans la répétition, « tous les jours » le rythme reprend, les activités reprennent.
L’absence de temps mort
Les temps d’inactivité sont minimes, en tout cas, il y a toujours la possibilité d’avoir une activité, quelque chose à faire : « on n’a pas de temps mort, de moments à pas savoir quoi faire, on a toujours la possibilité de s’occuper ». Même si les résidents ne sont pas occupés en permanence, ils savent qu’ils font partie d’une structure, d’une maison, et s’ils le veulent, ils peuvent participer et ne pas « perdre leur temps », « avoir des temps morts ». Cette réalité permet d’intégrer à chaque minute que l’on est bien un « sujet actant », que l’on n’est pas un objet pris en charge comme cela pourrait l’être à l’hôpital, par exemple, où en dehors des soins que l’on subit, la vie quotidienne est essentiellement faite de temps morts.
Le besoin de changer de rythme
Les temporalités sociales incluent des temps de repos, pour changer d’air, en un mot, des vacances. Les résidents veulent aussi avoir ces temps de vacances, qui est aussi l’autre face du « vrai » travail à la différence de la prise en charge thérapeutique, mais ils se heurtent à une difficulté, les liens tissés à l’intérieur ne sont pas, pour la plupart, des liens d’amitié qui peuvent se vivre à l’extérieur. Un résident expliquait « quand arrivent les beaux jours, j’aimerai bien partir quelques temps, mais partir où ? C’est là que ça passe pas, finalement tu es seul. Au mas, j’ai des collègues, ça permet de vivre ». Un autre : « j’ai bien envie de partir à la montagne car j’ai besoin de changement. Mais pas tout seul, car partir tout seul, pour aller où ? » D’autres résidents indiquaient que lorsqu’ils partaient en vacances, ils allaient dans de la famille, mais les séjours ne duraient pas longtemps car souvent, selon eux, les disputes ressurgissaient.
Souvent, ils ne prennent donc pas de vacances, en dehors de quelques week-ends. Ces temps hors de la structure sont aussi des moments où la tentation de l’alcool revient, dans la communauté de Berdine, lorsqu’ils parlent de vacances, ils parlent en fait de « test », ce n’est pas une période de loisirs, c’est un moment où l’on va tester d’abord sa capacité de résistance à l’alcool, mais aussi son aptitude plus ou moins retrouvée à vivre normalement en société de manière autonome.
Les limites du temps organisé
Les codes relatifs aux différents temps sociaux sont donc intégrés, intériorisés en dehors de l’imposition des rythmes, les personnes présentes dans les lieux savent, connaissent l’articulation des temps mêmes s’ils les appliquent différemment dans la rue[14]. Dans la structure, les horaires sont respectés car ils sont inscrits dans une structure globale avec des objectifs, des buts, ce qui n’est pas le cas lorsque les personnes sont dans la rue où l’absence de travail conduit à un fonctionnement où les temps sont organisés pour soi, pour continuer à survivre.
4.3 Les représentations du travail
Vendre sa force de travail est souvent considéré comme un moyen d’émancipation qui procure une autonomie financière, le sentiment de tisser un lien social avec les autres et la possibilité de contribuer à son épanouissement personnel. Cette vision du travail est toujours d’actualité, et la « valeur travail » occupe toujours au XXIème siècle, la seconde place après la famille. Sa valeur a été renforcée par les difficultés croissantes pour l’obtenir et le garder. Aujourd’hui donc, même si certains annonçaient une « fin du travail », en avoir un, constitue encore une norme.
Il est donc logique que, dans les lieux à vivre, cette valeur se retrouve. Nous allons voir que le travail dans ces lieux, bien plus que de déboucher sur la contribution à l’autosubsistance des résidents, produit une revalorisation de ces personnes et leur permet d’accéder au plaisir de faire, au-delà du besoin. Comme le dit l’un d’eux en parlant du travail effectué : « maintenant c’est plus le besoin, c’est l’envie ».
Description de l’activité
L’activité dans les deux lieux s’organise autour des travaux agricoles et fermiers. Au Mas de Carles, les activités sont l’élevage caprin (50 chèvres), l’élevage de poules, la production de miel, le maraîchage et l’arboriculture, la construction de murs en pierres sèches, la cuisine et la transformation des produits récoltés. Les produits récoltés permettent de fournir des restaurants, des épiceries biologiques et de tenir un stand sur le marché. Depuis peu, ils ont ouvert un « espace »[15] qui permet de vendre, sur place, les produits disponibles.
Les activités à Vogue la Galère étaient réduites lors de mon passage car les poules avaient été abattues suite aux problèmes de grippe aviaire. La vente sur le marché ne s’effectue plus depuis cet évènement qui a réduit les capacités de production du lieu. Les autres animaux présents (petites chèvres, cheval, cochons, lapins, biche…) permettaient d’accueillir des enfants dans le cadre d’une ferme pédagogique. En dehors de ces activités, ils participaient, selon la demande, à des déménagements pour récupérer des meubles[16].
A ces activités, il faut rajouter tous les travaux domestiques qui sont effectués par les résidents la plupart du temps.
Chaque activité se décompose en un certain nombre de tâches qui sont réparties entre les hommes, par exemple pour la chèvrerie, on note : 2 traites par jour, garde du troupeau dans la garrigue, soins vétérinaires, soins des chevreaux, fabrication des fromages, vente en magasin, au marché, à la ferme, traçabilité, respect des normes d’hygiènes, tenue à jour des tableaux. Les hommes font un roulement sur certaines tâches au sein d’une activité. Pour d’autres, ils sont affectés à une activité précise qui ne peut se décomposer en tâches, et n’en changent pas (surtout au Mas de Carles, le peu d’activité de Vogue la Galère permet une plus grande souplesse au niveau de l’organisation entre les hommes), c’est le cas par exemple du jardin, du poulailler, de la taille des pierres.
Utilité sociale du travail effectué
L’utilité du travail réalisé
L’utilité du travail réalisé est importante pour les hommes rencontrés. L’exemple le plus marquant est la comparaison du rapport aux animaux entre les deux lieux. A Vogue la Galère, le nombre d’animaux est réduit comme nous l’avons déjà dit, et aucun d’entre eux n’est utilisable, en dehors des cochons, mais pas dans une quantité qui permettrait de le commercialiser (par ailleurs les normes sanitaires ne permettraient pas, dans l’état actuel de vendre ces cochons). Les hommes pensent que les animaux leur permettent de passer le temps comme le disait l’un d’eux : « ça m’occupe au lieu de rester à rien faire ». Mais ils insistent surtout sur le caractère utilitaire et alimentaire, pour eux : « il faut tuer le cochon car il ne sert à rien, il ne fait que dormir ». Ici, les animaux ne sont donc pas utiles socialement car ils ne sont pas producteurs, ne permettent pas de rendre visible le travail effectué, ni de le consommer et d’assurer ainsi une autosubsistance.
Le discours extérieur va dans le même sens et réaffirme la nécessité du travail qui s’inscrit dans un projet collectif, ou de l’activité qui n’est pas juste une occupation. Un homme du Mas de Carles l’explique ainsi : « A Vogue la Galère, c’est pas un lieu à vivre, c’est un peu tout et n’importe quoi. C’est comme un radeau, c’est un rocher auquel on s’accroche, mais on est toujours au milieu de la tempête. Un lieu à vivre, c’est un but, c’est une fin en soi qui demande une organisation. Une mise en place qui ne devient plus une occupation, qui devient un travail, c’est-à-dire qu’on ne fait pas ça pour passer le temps. On fait ça pour rentabiliser, pour améliorer le lieu et pour mieux vivre ».
Globalement, on peut se demander s’il n’y a pas un déficit d’explication sur le modèle économique dans lequel ils vivent. Ces explications – qui peuvent être concrètes et passer par des moyens pédagogiques adaptés – permettraient de comprendre et d’intégrer les règles du jeu qui font qu’en perspective il y a bien la réintégration possible (même si elle est sous conditions) à la société normale. Le problème posé est celui de la construction des conditions qui vont permettent à ces personnes de se projeter dans l’avenir. Pour cela il faut auparavant avoir de nouveau prise sur son environnement, retrouvant justement ainsi de la puissance sociale.
La visibilité du travail
La question de la visibilité du travail a deux aspects, l’un interne aux lieux à vivre, l’autre est en rapport avec l’extérieur. A l’intérieur de la communauté, le fait que le travail effectué soit visible est important car il permet de mettre en avant le lien entre travail et bénéfice de celui-ci. Par exemple, celui qui s’occupe des poules récolte aussi l’argent de la vente des œufs, il voit ainsi directement le produit de son travail, et en donnant les œufs au cuisinier, voit le lien direct entre travail et autosubsistance. Ou bien, celui qui fait des murs de pierre sèche donne à voir le résultat du travail à tous ceux qui passent et récolte ainsi des compliments.
Le travail permet, dans ce cadre de produire de l’autosatisfaction aux hommes : « C’est plus du passe-temps qu’on a, c’est un travail à part entière, c’est quand même bien. Avant c’était petit, quand c’est passé à une autre dimension, c’est agréable. Ca donne envie de mettre la main à la pâte. On est content de faire du bon boulot. Si quelque chose ne va pas, ça va entraîner des engueulades, même ceux qui sont pas jardiniers, de voir que les jardins sont corrects, ça fait plaisir ». Ou bien, cet autre : « Je croyais que la rue serait mon cimetière et il a fallu que je vienne au mas pour me rendre compte que je pouvais faire autre chose, que j’en étais encore capable ».
Ensuite, si le travail effectué le permet, les structures vendent leurs produits sur le marché, à des restaurants ou à des épiceries. Ces débouchés leur procurent des satisfactions, pouvoir vendre c’est avoir une valeur sur le marché, c’est donc être entré dans la compétition au même titre que les autres. Mais, de la même manière qu’une personne peut acquérir des valorisations au sein du lieu de vie, elle peut endosser un stigmate négatif aux yeux de l’extérieur. Ainsi, pour tenir un stand au marché de la commune voisine, un homme disait qu’afficher le panneau « Resto du cœur » au dessus du stand lui donnait une mauvaise image, il indique par ce fait la nécessité de sortir du registre de la prise en charge pour retrouver de la puissance sociale.
Il est vrai, que tout en contribuant à réhabiliter l’image de ces anciens « SDF », l’affichage maintient cette ancienne appartenance et ne permet pas de les intégrer dans la société en ne les plaçant pas au même niveau que tous les autres marchands. Paradoxalement, ce qui permet une valorisation dans un cadre peut entraîner une dévalorisation dans un autre.
Fonction sociale du travail selon l’âge
Le rapport au travail n’est pas le même selon l’âge du résident. Les jeunes, qui ont « une espérance objective de réinsertion », considèrent ce qu’ils font comme du travail, et se sont eux, la plupart du temps qui critiquent l’absence de rémunération de ce travail. S’ils veulent trouver un logement à l’extérieur, ils auront besoin d’une somme d’argent qu’ils n’ont pas. La démarche consiste donc pour eux à trouver un emploi à l’extérieur grâce à l’expérience qu’ils auront acquise à l’intérieur du lieu à vivre. Ce qu’ils font dans les structures est à la fois considéré par eux comme un travail par les projections qu’ils y mettent, mais surtout comme une activité en raison de l’absence de rémunération.
Les plus vieux, qui n’ont pas « d’espérance objective de réinsertion », se projettent sur un temps plus long dans la structure, s’ils sont à la retraite, ils savent qu’ils n’en partiront pas. Dès lors, ils considèrent que ce qu’ils font permet de répondre aux besoins du lieu, qu’il ne s’agit pas d’un véritable travail, mais d’une activité qui est reconnue socialement au sein de la structure et utile. Deux hommes de plus de trente cinq ans l’expliquent. Le premier : « ce que je fais n’est pas un travail car ce n’est pas salarié, mais plutôt que ça sert à faire tourner la maison ». Le salaire est le symbole concret de la réinscription dans la sphère de l’économique donc de l’utilité sociale. La difficulté c’est que pour eux le seul modèle économique qui fasse référence c’est l’économie de marché. C’est d’ailleurs sur ce marché pur et dur qu’ils ont une revanche à prendre. Les économies sociales et solidaires sont perçues soit comme des « modèles d’intellos », soit comme des rêveries d’utopistes en marge de la société, soit plutôt comme des modèles bricolés par les travailleurs sociaux pour ceux qui ne peuvent pas avoir accès aux règles du marché ordinaire.
Le second : « le travail, c’est pas du travail, ça occupe, sinon, qu’est-ce qu’on ferait dans les chambres ? Et puis c’est pour nous, quand on ramasse l’ail c’est pour nous, on le vend, et l’argent et il va dans la caisse pour acheter des choses pour nous ». Ce dernier exemple renvoie directement à ce que l’on appelle « l’occupationnel » dans le travail social et qui fait référence à des structures destinées à ceux que l’on ne peut pas espérer réinsérer.
Valorisation et responsabilisation
La prise de responsabilité
La prise de responsabilité s’effectue par petites étapes, il ne s’agit pas de dire à un homme « tu es responsable, donc tu fais », mais il existe une prédiction créatrice dans les rites d’institution qui font d’un hébergé une personne qui a des responsabilités. Au bout d’un certain temps, un résident a eu les clés de l’atelier, un autre devient le seul à s’occuper des poules ou du cheval, du coup, ces hommes endossent la responsabilité de l’activité : « L’institution d’une identité, qui peut être un titre de noblesse ou un stigmate (…) est l’imposition d’une essence sociale. Instituer, assigner une essence, une compétence, c’est imposer un droit d’être qui est un véritable devoir être (ou d’être). C’est signifier à quelqu’un ce qu’il est et lui signifier qu’il a à se conduire en conséquence. L’indicatif en ce cas est un impératif » (Bourdieu, 1981, p. 60). Ainsi, la personne responsable n’acceptera pas de déléguer sa tâche à un autre, même pour des congés. Par exemple des résidents qui ont en charge l’un des poules, l’autre des cochons, ont dû se faire remplacer pendant leurs congés, mais les remplaçants n’ont pas, selon les titulaires habituels du poste, bien fait leur travail. Faire eux-mêmes le travail leur permet de s’assurer de la qualité du travail. Au-delà de ce point, en déléguant leur travail, les résidents auront peur de perdre le privilège et la reconnaissance que leur confère le fait de s’occuper intégralement d’une tâche (Bergier B., 1992, p. 75).
L’inscription du travail dans un projet collectif
La plus-value du travail pour la majorité des hommes, notamment pour ceux de plus de 35 ans est la possibilité d’inscrire leurs actions dans une action commune, collective. Le fruit de leur travail permet à la communauté d’avancer et d’améliorer le quotidien, pour l’un d’entre eux, ça leur permet aussi de moins dépendre aussi des aides publiques, d’être autonome.
Travailler dans les lieux à vivre leur permet de mettre en relation le travail effectué et un but, l’un d’entre eux l’explique ainsi : « le lieu à vivre c’est avec le travail que ça avance, mais notre travail, pas le même système qu’un travail marchand, capitaliste. Et c’est pas une question de salaire, c’est une question de faire avancer le bateau. C’est un bateau qu’on est obligé de faire avancer, donc il faut ramer sinon on coule. Il faut travailler pour un but, c’est le mieux être ». Il reprend plus loin cette distinction entre le « travail capitaliste » et le travail ayant pour finalité l’avancement collectif. Il a été dans de nombreuses communautés notamment Emmaüs, mais il n’aime pas trop cette structure car pour lui « là-bas c’est travail travail, ils ne font que du commerce. Ici, moi je coupe du bois », expliquant par là qu’il s’agit d’une activité utile à la communauté. Selon lui, l’objectif des communautés Emmaüs est de faire du profit, de travailler pour faire du « commerce », alors que l’activité qu’il décrit comme « couper du bois » fait référence à une tâche qui permet de faire « avancer le bateau » selon son expression.
4.4 Les relations sociales
Tous les éléments précédemment décrits (l’espace, le temps et le travail) permettent de part leur inscription dans le cadre qu’est le lieu à vivre, de reconstruire des éléments d’identité des personnes. Mais cette construction s’arrête à la limite de la confrontation de l’Autre. En effet, l’Autre rappelle sans cesse d’où il vient, c’est-à-dire de la rue. Or, selon les objectifs des personnes et les structures dans lesquelles ils se trouvent, ce regard n’aura pas la même importance et ne sera pas utilisé de la même manière.
Le Gaf[17] par exemple, est une association qui vient récemment d’entrer dans la démarche des lieux à vivre. Elle s’est crée en 1990 autour du rassemblement de plusieurs « squatters qui fréquentent le lieu d’accueil du Secours catholique en lien avec quelques bénévoles de cette structure. « À l’origine donc il y a eu un groupe (qui), petit à petit se renforce, s’organise, et s’attache à développer les «projets » portés par ses membres. L’idéal d’intervention veut que ce soient «les sdf eux-mêmes qui se prennent en charge », en décalage marqué avec les modes habituels de l’action caritative. Les animateurs du groupe se revendiquent d’une identité sdf, d’une culture de la rue, en rupture avec les constructions de la figure de l’exclu sur le mode déficitaire. » (Sociologie et Société, Volume 33, p. 8).
Cette association assume ce regard de l’Autre et revendique l’identité de SDF pour obtenir des choses. Produire de l’action collective, revendiquer suppose d’accepter la place de laquelle on parle et avoir quelque chose en commun à défendre. Or, justement, au Mas de Carles ou à Vogue la Galère, ils n’ont pas choisi d’être là et souhaitent effacer cette ancienne appartenance à la catégorie de SDF, le discours souvent répété de la volonté d’être « comme tout le monde » le rappelle.
Pour tenter de maîtriser cette image qui ressurgit sans cesse, les relations sociales, dans les lieux à vivre observés, sont basés sur la pression sociale et la négation du potentiel de l’Autre. Chacun rappelle à l’Autre d’où il vient et lui interdit, de ce fait d’agir, de proposer. Bergier compare les compagnons d’Emmaüs aux gens du voyage, ces derniers se mettent en position de négocier avec la mairie… alors que les premiers acceptent et se soumettent : « l’échec des individus à être à la hauteur de ce que les normes conventionnelles exigent, n’est pas perçu pareillement selon les attributs culturels. L’armement culturel des voyageurs permet, face aux systèmes de prise en charge des associations, un rapport de force qui s’avère impossible pour les autres errants dont les références culturelles demeurent étroitement liées à celles du système social et qui ont dès lors une lecture essentiellement négative d’eux-mêmes, légitimant leur position de dominés » (1992, p. 68). Or, c’est bien cette position de dominés qu’il convient de leur faire abandonner. La croyance dans la non réussite des projets de l’Autre en est un exemple : en parlant d’un homme qu’ils ont connu et qui est actuellement dans une autre communauté, deux hommes, à qui j’avais dit qu’il avait arrêté de boire, se mirent à rire et à m’expliquer que c’était impossible. Ils ne croyaient donc pas dans la possibilité que l’Autre ait réussi à s’affranchir de l’alcool, ait réussi à reprendre possession de sa vie.
La plaisanterie, très fréquente entre eux, semble aussi participer au contrôle social, sans en avoir l’air, « on a bien fréquemment besoin à la fois de dire certaines choses, et pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de façon telle qu’on puisse refuser la responsabilité de leur énonciation » (Ducrot, 1972, p. 5). Elle leur permet de se mettre à distance des autres hommes et de les replacer sans cesse dans leur position d’exclus. Les thèmes favoris des plaisanteries portent sur l’alcool, l’incapacité de se lever le matin, l’inactivité au travail, elles sont le moyen à la fois d’exprimer des différences ressenties et voulues, mais aussi de souder le groupe en mettant l’accent sur des comportements partagés par tous. Ce dernier crée un accord tacite entre tous qui permet de sauver l’apparence de l’entente en empêchant les conflits de se développer.
Ce système de contrôle social s’exprime de diverses manières, et les dirigeants rentrent dans ce jeu social, en faisant comme si les hiérarchies sociales n’existaient pas, comme si tous les hommes étaient égaux, ou frères. Par exemple, les plus anciens sont responsables d’une activité et ont accès à certaines marques de reconnaissance, comme les clés des hangars et conduisent le camion, ils ont accès aux outils et sont en charge des stocks, mais le directeur m’expliquait que ces affectations se faisaient de manière discrète, sans le dire à tout le monde. Il indiquait par là son souhait de ne pas rendre visible ces différences de statut. Or, elles existent de fait.
Mais, ce qui est perçu comme des tentatives de « prise de pouvoir » ou d’autorité sont mal perçues : « je veux rester là pour me reconstruire, mais c’est difficile car je voudrais entreprendre des choses mais si on parle, on se fait rabattre par les autres qui sont tires au flanc. Ce n’est pas possible car dès qu’il y en a un qui se monte un peu en chef, il se fait descendre par les autres. S’il veut dire aux autres de s’occuper de telle ou telle tâche, les autres lui répondent mais qui tu es toi pour nous dire ça, tu es un résident comme nous. »
Pour favoriser les prises de responsabilités et s’échapper du poids du contrôle collectif, le même propose : « je pense qu’il faudrait que lors des réunions on puisse dire les choses, mais ça ne sert à rien car sinon les autres vont faire la gueule et quand ils sont réunis, s’ils sont tous ensemble, il n’y en a que quelques uns qui vont parler car ils ne s’entendent pas avec tout le monde. Je pense qu’il faudrait faire des réunions par affinités pour pouvoir construire quelque chose et que les choses changent. Pour qu’il y ait une meilleure ambiance, je pense qu’il faudrait que la direction leur parle et disent qu’il faut arrêter la langue de bois, qu’on est tous dans la même galère donc qu’il faut s’entraider. Mais le gros problème ici c’est les gars qui font chacun pour soi ». Mais quand je lui suggère de construire un groupe avec ceux avec qui il s’entend bien, il me répond : « je ne me le sens pas, je n’en suis pas capable. Tous ces serrements de main et ces sourires ne servent à rien car il n’y a rien derrière ». On voit bien ici les freins à l’action collective que sont le poids du groupe et la difficulté de gérer les antagonismes entre les personnes. Bien que conscients de la nécessité d’agir collectivement car ils vivent la même situation (on est tous dans la même galère donc il faut s’entraider), les relations entre les hommes sont basés sur un mode de concurrence et de conflictualité.
D’un côté donc, les hommes de ces deux lieux résistent au stigmate négatif qui leur est associé et essaient de l’éloigner, de l’autre, ils se le rappellent sans cesse. Castel se demandait comment pouvait-on dépasser la résignation, « qu’est-ce qui pourrait réenclencher une dynamique positive ? » (2002, p. 198). Quel est le potentiel de revendication de ces personnes invalidées et quelles formes peuvent-elles prendre ? Une des issues positive des populations invalidées est, selon lui, une collectivisation de ce potentiel de résistance (p. 199). Mais dans ce cadre, la pression collective sépare plus qu’elle ne rapproche, chaque homme, sachant ce qu’il peut perdre (et ce vers quoi il peut retourner : la rue), ne prend pas le risque de se mettre en danger en essayant de voir ce que, collectivement, ils auraient à gagner.
5 La ré-appropriation de soi
5.1 Recréer des sentiments d’appartenances
L’image que chacun a de soi, de ses capacités et de ses qualités dépend du regard d’autrui et le déni de reconnaissance produit des lésions de l’identité, les études sur l’exclusion et la grande précarité le confirment. Les situations d’exclusion semblent marquées par une perte des appuis sociaux de l’existence (perte de reconnaissance stable et valorisante) et une insertion dans des relations sociales dévalorisantes.
Avant d’arriver dans les lieux à vivre, les appartenances collectives de ces hommes ont en effet été détruites et le sentiment d’appartenance au monde des exclus était vécu négativement, même si les personnes concernées construisaient un discours de justification de leur situation au fil des années. Or, conduire sa vie avec un minimum d’autonomie est difficile quand on existe négativement comme individu (Castel, 2001, p. 119-120).
Nous avons vus que la ritualisation du temps et de l’espace permettent de rappeler la présence du collectif, ce dernier redonne sens à leur vie et les situent dans un projet collectif. Cette insertion de cadre socio-temporel dans un lieu collectif leur redonne la propriété de leur vie et leur permet d’exister positivement. Comment se crée ce sentiment d’appartenance, à la fois individuel et collectif ?
S’approprier le lieu
La possibilité de s’ancrer dans un lieu, de faire référence à une aire géographique, et plus précisément d’avoir une adresse est un élément important dans la vie sociale. Tout d’abord et concernant un aspect pratique, elle permet de recevoir son courrier, de réaliser et d’obtenir des documents administratifs. Ensuite et surtout, avoir une adresse signifie « avoir un chez soi », être en possession d’un lieu à soi, d’où l’on peut partir et où l’on peut revenir.
Cet élément est important dans la perception qu’ont les résidents du lieu dans lequel ils vivent, or la situation dans les deux lieux est différente. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’association du Mas de Carles est propriétaire des terrains sur lesquels elle se situe, tandis que l’association Vogue la Galère ne l’est pas et loue les bâtiments et les terrains. Cette différence est présente dans la perception des hommes sur le lieu et sur leur rapport à ce lieu.
A VLG, l’un d’entre eux l’exprime clairement : « ici on n’est pas chez nous, on peut pas faire ce qu’on veut ». On constate aussi que les signes d’appropriation sont absents, par exemple, il n’y a pas de noms sur les portes des chambres (malgré une tentative avortée), on ne laisse pas de signes montrant que l’on est chez soi.
Au Mas de Carles, au contraire, le sentiment de propriété est bien présent. Lors de la sortie des chèvres, l’homme qui s’en occupait me montrait l’étendue de la propriété en disant : « là c’est chez nous, et chez nous ça va jusque là-bas ». Ce « nous » traduit cette possibilité de se projeter et de s’approprier un espace. Pouvoir dire : « c’est à nous » est une prise de conscience de nouvelles possibilités qui s’offrent aux personnes et qui permettent un investissement des lieux. Cet investissement se traduit de plusieurs manières, les résidents ont des ronds de serviettes, ils peuvent laisser leurs affaires, ils peuvent avoir des habitudes.
La possession des lieux permet aussi aux hommes d’être enterrés là s’ils n’ont pas de familles, de se dire qu’ici ils peuvent mourir, qu’ils ne seront pas tout seul, qu’ils sont reconnus.
Etre propriétaire du lieu leur permet de prendre possession de leur vie et d’avoir un socle duquel ils peuvent partir et se projeter dans l’avenir. De plus, l’aspect collectif du lieu, qui est à « nous » est inclusif, c’est-à-dire que, non seulement, on appartient à un lieu, mais aussi à un groupe (même si on a montré que parfois cette référence à ce groupe n’est pas évidente).
Séparer / opposer pour mieux se positionner
La possibilité d’appartenir à un lieu, et à un collectif leur permet de développer une série d’opposition, de classement, déclassement qui leur permet de se situer dans une sphère sociale. Les séries d’oppositions servent à se positionner par rapport aux autres, elles vont pouvoir s’exercer dans ce cadre.
On observe les oppositions suivantes, que nous avons déjà décrites plus haut pour certaines : dehors / dedans, haut / bas, résidents / urgences, travailleurs / faignants, avant / maintenant, lieux à vire / urgence. Ces comparaisons s’exercent sur des relations à l’intérieur des structures, entre deux structures, ou pour comparer leur vie d’avant (dans la rue) et celle d’aujourd’hui, elles permettent une construction positive d’eux-mêmes.
Mais ces comparaisons ou classement ne s’effectuent pas sur des éléments de la vie « normale », en référence à la société, car cela développerait chez eux des jugements dépréciatifs. En effet, comme l’exprime Iribarne, « la dignité du pauvre est menacée chaque fois que, au lieu de mettre en avant leur droit à être traité comme des citoyens à part entière, on entreprend de juger ce qu’ils font à l’aune de modèle citoyen autonome et responsable » (1996, p. 173). Bergier reprend cette idée en expliquant que l’existence est vécu soit en négatif par rapport à la vie civile, soit en positif par rapport à l’Etat d’errance antérieur (1992, p. 40), il s’appuie pour cela sur l’exemple des gens du voyage qui véhiculent leurs propres normes de comportement car ils n’ont donc pas besoin de se construire par rapport à l’extérieur.
Les lieux à vivre permettent donc aux personnes de se positionner à l’intérieur du groupe, sans faire référence en permanence aux valeurs et normes extérieures, à celles de la société. Ils peuvent, en exerçant ce système de comparaison et de classement, se réaffirmer dans leur individualité et établir une construction positive d’eux-mêmes.
5.2 Recréer des supports pour atteindre la capacitation
Toute personne est un être social et ne vit pas sans supports : lois, règles, morale, institutions, culture, goûts, modes, reconnaissance par autrui, ces « supports » sont intériorisés chez l’homme moderne lors de sa socialisation.
Or, face à l’injonction sociale de plus en plus forte d’être autonome, les supports qui vont permettre aux personnes de tenir face au monde, pour reprendre l’expression de D. Martuccelli, sont essentiels à mobiliser pour ceux qui sont en situation de précarité. Parmi ces supports, certains d’entre eux sont mobilisés dans les lieux à vivre, ils permettent effectivement aux personnes de se reconsidérer, de reprendre une estime d’eux-mêmes, de construire des capacités, même s’ils sont inégalement mis en avant.
Faire valoir de la reconnaissance
La considération est un produit social, variable en fonction du contexte social donné. Pour préciser le sens de cette thèse, dans le cadre de la société moderne, A. Honneth met en rapport trois formes de reconnaissance avec trois formes de rapport positif à soi, eux-mêmes distribués dans trois sphères sociales distinctes.
La première sphère est celle de l’intimité. La reconnaissance y passe par l’amour et l’amitié, lesquels rendent possible la « confiance en soi », c’est-à-dire la conscience de la qualité de notre propre existence d’êtres de désirs et de besoins.
La deuxième sphère est celle de la collectivité et concerne la contribution de nos activités individuelles au bien de la société. La reconnaissance y a pour conséquence l’« estime de soi », entendue comme la conviction de la fonction sociale de notre activité. Pour pouvoir accéder au sentiment d’estime de soi, chacun, notamment dans le travail, doit pouvoir se sentir considéré comme utile à la collectivité, en lui apportant sa contribution.
La dernière sphère porte sur les relations juridiques. La reconnaissance dépend alors des droits qui nous sont attribués et permettant le « respect de soi », à savoir la certitude de la valeur de notre liberté.
Même si cette approche a reçu quelques critiques, notamment par Nancy Fraser qui lui reproche de trop « psychologiser » les problèmes sociaux, elle nous permet de prendre la mesure des attentes de reconnaissance qui traversent les interactions sociales et les effets qui peuvent résulter d’un déni de reconnaissance.
Dans les lieux à vivre étudiés, la première sphère sociale, celle de l’intimité, existe, de part la configuration communautaire du lieu. Les relations sociales y existent de fait, même si elles sont conflictuelles, mais nous avons vu qu’elles sont imposées[18] et limités.
La seconde, celle de la collectivité, est probablement, celle qui contribue le plus à la reconnaissance. En effet, nous avons vu que les éléments qui sont importants pour les hommes dans le rapport au travail sont sa visibilité et son utilité : le fait d’avoir une activité, d’être responsable d’un secteur à part entière, montre aux autres qu’on est capable, redonne de la fierté, de la dignité. Selon De Gaulejac V., « cette application du droit à la dignité passe par des droits fondamentaux qui sont indivisibles les uns des autres : le droit au travail, le droit au logement, le droit à l’éducation, le droit à la justice, le droit à la santé, c’est à dire le droit à des conditions d’existence qui permettent réellement l’exercice de la citoyenneté (…). C’est la reconnaissance des autres qui fonde le sentiment d’appartenance à une communauté sociale et la possibilité de se situer comme un sujet socio-historique ; c’est enfin la citoyenneté, là où l’individu est reconnu comme sujet de droit égal à tous les autres, que ce soit dans l’ordre juridique ou celui de la considération » (1998, p. 197)
Si les deux premières sphères sont en parties reconstituées dans les lieux à vivre, la dernière sphère, celle des relations juridiques semble faire défaut pour certains hommes, A. Honneth parlerait ici de déni de reconnaissance. Les réunions visant à accroître leur participation et leur inscription citoyenne dans les lieux semblent ne pas satisfaire les hommes. L’un d’entre eux l’exprime ainsi : « il n’y a rien qui est décidé avec nous, les seules décisions auxquelles on peut participer c’est la réunion du vendredi pour dire qu’on a planté tant de rangées de haricots verts, ou pour dire qu’on voudrait changer l’heure du début du travail… Et ça, ça ne sert à rien. On nous demande pas notre avis sur le fonctionnement ». Sur un autre niveau, un homme expliquait, comme nous l’avons déjà dit plus haut, qu’il ne voulait pas faire de remarques sur le fonctionnement car il était timide. Ces deux éléments montrent une absence de capacité sur la prise de parole en public et sur la maîtrise de l’espace d’intervention qui leur est réservé. Par ailleurs, ils ne connaissent pas les limites de ce qui leur est autorisé (en dehors du règlement intérieur) en termes de droits sociaux, ils n’ont pas de vision globale de leur inscription dans ces structures.
De plus, nous avons vu que le rapport au travail de ces personnes dans les lieux à vivre n’est pas clair : ils ne connaissent pas exactement la fonction sociale et la place juridique de leur activité. Or, c’est par l’inscription dans des collectifs de travail, dans des droits sociaux qu’ils peuvent exister positivement et se construire des supports.
Sans se positionner sur la légitimité de l’action entreprise, l’exemple de l’homme qui a fait un procès au Mas de Carles pour « exploitation »[19] peut se lire comme une situation où la personne s’est inscrite dans un collectif de travail et s’est le plus approprié le droit du travail et les supports juridiques. Au regard de ces analyses, ce procès semble pouvoir ainsi être vu comme le signe d’une réappropriation sociale réussie. En effet, tous les supports doivent être réunis pour faire un procès à un tiers, pour mettre en œuvre une action qui intervienne dans la vie publique et pour tenter d’améliorer ses conditions de vie. Cette action nécessite de mobiliser plusieurs ressources : une réflexion sur les faits, sortir de l’isolement en faisant appel à un avocat, se faire entendre.
Atteindre la liberté de choisir, la capabilité
Or, l’objectif premier des lieux à vivre est de permettre aux personnes présentes d’accéder à une vie meilleure, de prendre possession de leur vie, « d’accéder aux projets et au choix » comme le rappelle la charte des lieux à vivre. Le lieu à vivre produit certains de ces éléments nécessaires au développement, ou plutôt à la mise à jour de capacités qui permettent d’agir, de mettre en œuvre des actions pour améliorer sa vie. L’objectif final est donc la capabilité comme le dirait Sen, vu comme « un ensemble de vecteurs de fonctionnements, qui reflètent la liberté dont dispose actuellement la personne pour mener un type de vie ou un autre », elle est un pouvoir d’être ou de faire, ancré dans le présent. La capabilité désigne l’ensemble des capacités qui peuvent librement s’actualiser, elle ne désigne pas une liberté sous conditions, mais la liberté qui est effectivement disponible à l’instant considéré. L’approche par la capabilité dépasse donc le cadre habituel centré sur les moyens d’accomplir des actions, principalement le revenu, pour proposer d’intégrer à la réflexion le développement de la liberté de choix et la présence réelle d’opportunités alternatives.
La capacitation (ou capacité) est un moyen d’arriver à la capabilité. C’est ce terme qui exprime le mieux cette démarche. Originaire des pays d’Amérique du sud, ce néologisme emprunte à l’espagnol « capacitación » et au portugais « capacitação », et renvoie, en français, à plusieurs notions :
– le développement des capacités, comme l’indique la définition du mot au Brésil : « acte ou effet de rendre capable »
– la formation ou la qualification, selon la traduction de l’espagnol
– la préparation, l’habilitation
– en biologie française : « la transformation du spermatozoïde qui lui donne son pouvoir fécondant ».
Bien qu’à préciser continuellement, la notion de capacitation (qui se rapproche de celle d’empowerment[20]) renvoie au développement des capacités à participer et à intervenir dans la vie publique, à agir sur le quotidien et à réaliser collectivement des actions d’amélioration des conditions de vie et de l’environnement. Le terme de capacitation entend surtout prendre en considération trois autres ressources : la disponibilité de partager une réflexion commune, la possibilité de sortir de son isolement, et la capacité à se faire entendre. C’est donc bien dans le cadre d’une démarche de capacitation qu’est rentrée la personne décrite plus haut en intentant un procès à la structure. Reste à savoir ce qu’est devenue cette personne et si elle s’est servie de ces supports pour améliorer globalement sa vie par la capabilité.
Si ces lieux permettent à des personnes, par leur présence dans le collectif, de se réapproprier leur vie, et de construire des capacités, la capabilité a des difficultés à se développer, notamment par l’absence de puissance collective. Les personnes se sentent appartenir à un projet, mais ne sont pas en capacité de s’en revendiquer car le stigmate négatif est encore trop fort. Le niveau collectif de l’action, la possibilité d’avoir une réflexion commune qui leur permettrait d’agir durablement et collectivement sur leur situation n’existe pas à ce jour. Cette issue a d’autant plus de difficulté à émerger que le modèle du « s’en sortir » se forme toujours, pour les résidents de ces structures[21], sur l’image de la société globale.
Sortir du cadre de la communauté voudrait dire à nouveau rompre avec une appartenance fraîchement et difficilement construite pour aller se créer d’autres appartenances collectives, cela supposerait qu’une partie de ces liens se soient déjà construits à l’extérieur de la communauté (travail, relations sociales, loisirs…), ce qui n’est pas le cas pour la majorité des personnes en raison du stigmate négatif dont ils sont l’objet et qu’ils continuent à vivre comme tel.
6 Annexe 1 : règlement intérieur du Mas de Carles
RÈGLEMENT INTÉRIEUR DU MAS DE CARLES
L’association “Mas de Carles” vous accueille, à votre demande, dans ses locaux pour :
* vous proposer momentanément un toit, le couvert et les moyens de régulariser votre situation administrative et personnelle, à un moment difficile de votre vie ;
* vous inviter à vivre, avec d’autres, un temps de récupération active, de partage de vie et de soins ;
* vous accompagner dans la recherche d’une nouvelle manière de vivre et vous préparer, ainsi, à faire les choix nécessaires pour votre avenir.
Votre séjour au Mas de Carles constitue une étape. Sa durée n’est pas limitée a priori, mais s’adapte aux besoins de chacun. Régulièrement, votre situation sera examinée avec vous et avec les responsables de l’animation du foyer, pour vous éviter de passer ici plus de temps qu’il pourrait être nécessaire.
Pour nous permettre de mieux vivre ensemble, nous vous demandons, lors de votre séjour au Mas, de prendre connaissance, de signer et de respecter le présent règlement intérieur des accueillis.
* Article 1 * Chacun participe au fonctionnement de la maison, selon ses moyens et ses capacités. En plus des tâches communautaires (vaisselle, ménage), vous devez vous inscrire dans une activité (maraîchage, chèvrerie, pierres sèches, entretien des bâtiments, maçonnerie, électricité, peinture…). Votre présence quotidienne dans un de ces ateliers est obligatoire (de 8h30 à 12h – de 14h à 17h, sauf dimanche et jours fériés, en cas de travail ou de démarche à l’extérieur).
Si vous deviez vous absenter, vous devrez le prévoir avec les responsables.
La participation aux activités de la maison n’ouvre pas de droit à une rémunération, ni à un contrat de travail. Elle est de l’ordre d’une pédagogie active. Pour obtenir un contrat de travail avec l’association, vous devrez obligatoirement habiter hors du foyer.
L’article L 351-17-1 du code du travail précise : « Tout demandeur d’emploi peut exercer une activité bénévole. Cette activité ne peut s’effectuer chez un précédent employeur, ni se substituer à un emploi salarié et doit rester compatible avec l’obligation de recherche d’emploi. L’exercice d’une activité bénévole n’est pas considérée comme un motif légitime pour se soustraire aux obligations prévues à l’article L. 351-17. »
* Article 2 * Les sorties ont lieu après 17 heures en semaine et le samedi à partir de 12 heures. La présence aux repas du midi et du soir est obligatoire. Il est nécessaire de prévenir en cas d’absence.
* Article 3 * Drogues, alcools, violences, vols sont formellement interdits dans la communauté.
La consommation d’alcool et de drogues n’est pas tolérée dans la maison. Ils sont cause de renvoi immédiat.
Vous ne devez pas vous présenter au foyer sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue.
Si (malgré les propositions de soins) l’équipe d’encadrement constate que vous ne modifiez pas votre comportement vis à vis de la violence, de l’alcool ou de la drogue, elle mettra un terme à votre accueil.
* Article 4 * Celles et ceux qui ont un revenu participent aux frais d’hébergement : 92 € par mois (3,07 € par jour). Pour les familles hébergées en caravane, il leur sera demandé 40 € par mois et par caravane, plus les frais d’électricité.
* Article 5 * A celles et ceux qui n’ont aucun revenu, l’association offre un minimum de facilités : affaires de toilette, tabacs, frais de régularisation administrative, etc.
* Article 6 * L’utilisation des véhicules personnels est réservée aux déplacements professionnels en semaine et à ceux du week-end.
L’utilisation des téléphones portables est interdite pendant les repas, les rassemblements communautaires et les activités en atelier.
L’utilisation du téléphone du Mas est limitée aux appels administratifs et à l’urgence.
Les traitements médicaux sont distribués par l’un des responsables du foyer. Les médicaments ne doivent en aucun cas rester dans les chambres.
* Article 7 * Chaque vendredi à 18 h 30, une réunion rassemble les personnes hébergées au Mas et l’équipe d’encadrement. Elle a pour objectif de faire le point sur la semaine écoulée, de réguler la vie commune et de distribuer les tâches communautaires (cuisine, vaisselle, café du matin, etc.). La présence de chacun est obligatoire.
* Article 8 * Pour mieux vivre ensemble, chacun doit apprendre à respecter l’autre et à se respecter :
* chiens, chats et animaux de compagnie sont interdits dans les chambres ;
* pas de repas (sauf maladie) dans les chambres ;
* pas de télévision, ni d’ordinateur dans les chambres ;
* pas de bruit après 22 h 30 : chacun est dans sa chambre ;
* chacun veillera à la propreté de son corps, de sa chambre et de ses effets personnels.
* musique et radio doivent être écoutés “raisonnablement” ;
* par mesure de sécurité, on évitera de recevoir dans sa chambre. Toute personne étrangère au foyer devra avoir quitté les lieux à 20h30, dernier délai.
* Article 9 * Les horaires de la journée sont les suivants :
Semaine Dimanche
Ouverture des portails 7 h 7 h
Réveil 7 h 15
Petit déjeuner 7 h 30 jusqu’à 9 h
Activités 8 h 30 à 12 h
Pause café 10 h
Repas de midi 12 h 30 12 h 30
Activités 14 h à 17 h
Pause café 17 h 17 h
Repas du soir 19 h 15 19h15
Fermeture des portails 21 h 21 h
Extinction des feux 22 h 30 22 h 30
Si, par nécessité, vous deviez vous absenter, vous en informeriez les responsables.
- Article 10 * Les responsables peuvent visiter les chambres pour s’assurer de la bonne marche de la maison et de l’application du présent règlement intérieur.
7 Sigles
ACI : Action Collective d’Insertion
CASEL : Contrat d’Action Solidaire et Economique Local
CHRS : Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale
CROSMS : Commission Régionale des Œuvres Sanitaires et Médico-sociales
SDF : Sans Domicile Fixe
TIG : Travaux d’Intérêt Généraux
TS : Travailleurs Sociaux
VLG : Vogue La Galère
VCM : Voisins et Citoyens en Méditerranée
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[1] Je reviendrai plus loin sur cette idée de « choix », sa signification et ses limites.
[2] Pour consulter la charte voir le site : http://www.vcm.1901.org/pdf/chartelav.pdf
[3] D’autres lieux s’engagent progressivement dans cette démarche, notamment Berdine qui se situe près d’Apt. Lieu de vie communautaire à confession religieuse, la structure se rapproche de celle du Mas de Carles par son ancienneté et ses modes d’organisation. Je ferai référence à cette structure pour mettre en relief des points importants des deux autres lieux de vie.
[4] Ses missions : « Le comité rend un avis motivé, préalable à la décision de l’autorité publique, sur les projets de création, de transformation et d’extension importante (plus de 30% de la capacité initialement autorisée et, plus de 15 lits, places ou nombre de bénéficiaires autorisés) des établissements et services sociaux et médico-sociaux (relevant de l’article L.312.1 du Code de l’Action Sociale et des Familles) ».
Réf. : http://centre.sante.gouv.fr/drass/social/crosms/1crosms.htm
[5] Il prenait ici l’exemple de « l’errance immobile des jeunes désœuvrés ».
[6] Ce point sera traité dans la partie sur la formalisation de leur installation dans le lieu à vivre.
[7] Extrait des statuts de l’association.
[8] Nous reviendrons en détail sur la description des lieux plus bas.
[9] Il y a majoritairement des hommes dans ces structures, une ou deux femmes seulement dans chacune d’entre elles. Par commodité, nous désignerons parfois la population globale de ces lieux par « les hommes ». Nous évoquerons plus loin la place des femmes dans ces structures.
[10] Le règlement intérieur intégral est annexé à ce rapport.
[11] La présence de la télévision apparaît auMas de Carles dans les chambres des résidents qui sont seuls par chambre et qui sont présent dans la structure depuis un certain temps.
[12] Toutes les indications concernant le rapport au travail seront développées dans la partie concernée.
[13] Du nom de la célèbre prison américaine d’où il était impossible de s’évader. Le choix de cette dénomination n’est pas banal.
[14] Dans la rue les temps sociaux sont rythmés, voire ritualisés, c’est en partie ce qui permet de tenir, mais ils sont très différents. Ils sont liés à son horloge biologique interne, mais aussi à ses dépendances ; la survie demande de l’organisation.
[15] Nommés ainsi par le directeur, qui fait référence à une maison dans laquelle un « espace » serait réservé pour la vente et qui serait aussi un lieu de convivialité, ce lieu est appelé « boutique » par les résidents qui voient là un lieu de vente. Cette divergence sur la nomination des lieux apparaît dans d’autres endroits. Par exemple, le lieu où l’on mange est nommé « salle à manger » pour le directeur, et « réfectoire » ou « cantine ».
[16] Pour plus de détail sur l’activité du Mas de Carles, vous pouvez vous rendre sur le site de l’association : http://www.masdecarles.org/ .
[17] Pour plus d’informations, consultez le document suivant : http://www.erudit.org/revue/socsoc/2001/v33/n2/008316ar.pdf , p. 8
[18] Les hommes ne choisissent pas ceux qui viennent vivre là, en dehors de cas particuliers où ils peuvent choisir d’en faire sortir un qui ne respecterait pas les règles de vie.
[19] Nous n’avons pas eu les éléments permettant de produire une analyse plus détaillée de cet évènement. Il serait pourtant intéressant d’y travailler plus précisément pour valider l’acquisition ou non des supports décrits qui ont conduit à la construction de capacités.
[20] Pour M.-H. Bacqué : « Elle indique le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper. Elle articule ainsi deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. » Réf. : http://aci-democratie-participative.cnrs.fr/amelie_flamand/Sem101005Bacque.pdf
[21] Et contrairement aux intentions des initiateurs de ces structures.